15 - La Californie

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27 janvier 1856, San Francisco

La diligence arrive au terme de son voyage. Poussiéreux comme il l'a encore rarement été, Nicolas descend prestement du véhicule. Le cocher lui lance ses maigres bagages et il se met immédiatement en quête d'un hôtel. Il y a de la musique dans les rues boueuses, beaucoup de monde. Dans sa poche, il a l'adresse qui l'intéresse. Avec un peu de chance, Mr. César de Rosebrune sera chez lui, sinon, il l'attendra. Il trouve un hôtel, prend à peine le temps de se débarrasser de la poussière du voyage et se rend chez les Rosebrune.

Il s'agit d'un bel hôtel, luxueux, bien plus que celui où il s'est installé. Il prend la mesure de leur fortune lorsqu'il comprend que l'hôtel leur appartient tout simplement. Mais ils ne sont pas là. On le prie d'attendre dans un salon, et Nicolas prend son mal en patience. Il engage la conversation avec un homme qui se trouve là, et qui lui paye un verre de whisky.

– Vous êtes européen, cela se voit, lui dit-il avec un sourire amusé sous sa grosse moustache. Vous connaissez les propriétaires ?

– Oui, en effet. Vous aussi ?

– Mr. de Rosebrune est un gentleman assez connu par ici, depuis quelques temps ...

Il fait tourner le whisky dans son verre.

– Pour tout vous dire, je le connais bien, parce qu'il a gagné cet hôtel à une partie de poker assez spectaculaire. Contre moi. Et il l'a bien transformé je dois dire ... même si je pense que c'est sa femme qui a décidé de la décoration. J'avoue que je n'avais pas très bon goût.

L'histoire fait sourire Nicolas.

– Cet hôtel ... vous l'aviez vous-même gagné ? demande-t-il.

– Oh non ! Je l'ai fait construire. Vous savez, en 1848, quand j'ai appris qu'on avait trouvé de l'or ici, je me suis dit qu'il fallait que je vienne. J'étais dans l'Oregon à ce moment là. J'ai tout abandonné. Je suis venu ici, en 49, et j'ai trouvé de l'or après quelques mois de prospection. Un filon formidable ! C'était la fièvre ici, les gens sont venus de partout, San Francisco n'était rien, il y a 10 ans. J'ai vu la ville se remplir à vue d'œil, croyez-moi, et pour moi, c'était une véritable opportunité. J'ai investi mon or dans des hôtels, que j'ai fait construire de toute pièce. Et celui-ci entre autre ...

Nicolas a déjà entendu parler de la ruée vers l'or. Difficile d'échapper à cela quand on passe plusieurs mois en Amérique. Mais il a du mal à croire que San Francisco ait si vite grandi. L'autre poursuit ...

– ... les Rosebrune, on les connaissait vaguement de nom, avant qu'ils n'arrivent il y a trois mois. Ils faisaient des investissements dans le chemins de fer à l'est, mais aussi dans de nombreuses scieries de l'ouest. Maintenant, leur nom est bien connu à San Francisco. Après cet hôtel, que César de Rosebrune a gagné, il y a maintenant deux mois, il a visiblement décidé que cela était une bonne affaire, et il en fait actuellement construire trois autre dans la rue principale. Il paraît aussi, qu'il rachète des terrains aurifères. Il est doué en affaires, y a pas à dire. Comment les connaissez-vous, ce sont des financiers, et il me semble que vous êtes aristocrate ?

La question finale surprend un peu Nicolas qui est plongé dans le récit. Mais après un instant, il finit par répondre avec un sourire amusé :

– Vous savez depuis quelques années en France, l'aristocratie désargentée se mêle de plus en plus aux financiers sans titre comme vous dites. La noblesse répugne aux affaires, mais a cruellement besoin d'argent pour maintenir son statut. Et parfois, certains financiers obtiennent des titres, c'est le cas des Rosebrune. Mais en vérité, je ne les connais pas personnellement. Je crois les avoir vu une ou deux fois tout au plus, mais je connais bien leur nièce, qui est une amie de ma cousine. Il se trouve que certaines affaires en France m'amènent à les rencontrer de nouveau. Ce ne sont, malheureusement, pas des circonstances heureuses.

Amours & cupiditésWhere stories live. Discover now