18 - Retrouvailles

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7 mars 1856, Cherbourg

Le gros paquebot accoste lentement au quai. Aux garde-fous les voyageurs se pressent, munis de bagages à main. Les dames ont des chapeaux qui rivalisent en largeur à la hauteur des hauts-de-forme de ces messieurs. Tête-nue, Nicolas, au milieu d'eux, se faufile pour arriver au plus près de la rampe de débarquement. Il a laissé les Rosebrune un peu en arrière, car il est chargé par César d'une missive à l'intention du notaire Avard. Il doit quitter Cherbourg au plus vite. Malgré cela, il ne se fait pas d'illusion : le lendemain est le jour de l'échéance, et il faut habituellement deux jours, en diligence pour se rendre du côté de Rosebrune. Mais la journée est déjà bien avancée, il est midi passé, et même en cavalier solitaire, en poussant son cheval à fond, il sait qu'il n'arrivera pas avant le 9 au matin, au plus tôt.

Et pourtant, il s'empresse. La rampe est posée, il jaillit presque du groupe des premier passagers, passe les contrôles aussi vite que possible et se retrouve bien vite sur les quais, face au front de mer. Là, il s'arrête un instant. Il lui faut trouver une monture. D'un pas vif, il reprend sa progression, s'engage dans une rue où il est certain de trouver un hôtel, et surtout une écurie. Il entre dans un bâtiment, chapeau et bagage léger à la main, et trouve quelqu'un pour négocier. Quelques minutes plus tard, il est à sceller un cheval dans l'écurie de l'établissement. En dix minutes, le harnachement est mis, les bagages attachés. Il grimpe en selle, et quitte la ville aussi vite que possible.

9 mars 1856, les Aubépines

Louise se réveille d'une mauvaise nuit. Elle a eu du mal à s'endormir hier soir, et c'est un euphémisme que de dire que son moral n'est pas au beau fixe. Malgré toute la bonne volonté dont elle a voulu faire preuve la veille, elle n'a pas réussi à sourire, entretenir une conversation. Elle s'est simplement contentée de remettre les clefs du domaine au notaire, avant de disparaître dans sa chambre pour ne pas éclater en sanglots devant lui. La jeune femme n'a pas pu s'empêcher de chercher sur son visage l'expression d'une satisfaction. Le pire est qu'elle a cru en déceler une, mais comment cela pourrait-il être possible ?

Elle se lève va à la fenêtre et tire un peu le rideau. Il fait à peine jour. A l'horizon, la teinte rosée de l'aube se bat avec la brume qui se lève en même temps qu'elle, chassant malgré tous les sombres nuances de la nuit. Louise est fatiguée, mais elle est lasse de s'essayer à dormir. Elle appelle une domestique qui vient l'aider à s'habiller. Cette dernière l'informe que le petit-déjeuner est servi en bas, et que la comtesse est en train de le prendre. Louise ira le prendre avec elle.

Elle fait tout au ralenti : sortir de sa chambre, traverser le palier ... elle s'arrête au chambranle d'une arche qui ouvre sur la mezzanine centrale, en haut de l'escalier. Elle porte la main à son front. Dieu ... que va-t-elle faire à présent ? Il faut qu'elle reparte à Paris. Une agitation, en bas, le bruit de la porte qui s'ouvre, les paroles étouffées du majordome et de quelqu'un d'autre, la poussent à poursuivre son chemin. Elle s'arrête de nouveau, à peine en haut de l'escalier, les yeux écarquillés de surprise, saisie d'une étrange impression de déjà-vu. En bas, posant son chapeau, Nicolas lève les yeux et se fige aussi dans la même impression.

Comme lors d'une certaine matinée de décembre, Louise pâlit et son cœur loupe un battement, mais elle ne bouge pas. Ses doits sont crispés sur la rampe, elle se met à pleurer sans même s'en rendre compte. C'est Nicolas qui s'avance en premier cette fois.

Il ne s'attendait pas à être de nouveau face à Louise, si vite. Bien sûr, elle est ici, il s'en doutait, les circonstances l'exigent, mais il lui semble incongru qu'elle apparaisse là, en haut de cet escalier, seule. Dans ses pensées, c'était toujours aux côtés d'un autre homme qu'il la voyait à présent. Il s'arrête au pied des marches. Louise n'a pas bougé et elle pleure tant ! Son regard cherche l'alliance au doigt de la jeune femme, son cœur bondit en ne la trouvant pas. Des sentiments contradictoires de mêlent aussitôt en lui ; l'échec du mariage, espoir, la perte de l'héritage, amertume. Il se retrouve aux côtés de Louise en un instant, sans même avoir eu l'impression de monter l'escalier. Un égoïsme qu'il a tellement de mal à faire taire en cet instant lui hurle qu'elle n'est pas mariée, qu'elle n'est même plus fiancée ! Il étouffe. Mais les grands yeux si beaux en face de lui sont pleins de larmes. Et il ne sait pas quoi faire, parce qu'il n'ose pas faire un geste.

Amours & cupiditésWhere stories live. Discover now