8 - Le carton d'invitation

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22 novembre 1855, les Aubépines

Louise rêve à la fenêtre. N'est-ce pas terriblement romantique cette posture, la main sous le menton, cet air mélancolique au visage, la pluie sur la fenêtre, et le mauvais temps, froid, dehors ? La jeune fille se moque d'elle-même et recule dans le salon de musique où elle attend la comtesse pour leur séance de lecture quotidienne. Elle se demande si Thomas viendra.

Elle l'a vu, le samedi précédent, au bal. Il a tenu sa promesse d'être là, et ils ont passé ensemble une excellente soirée. Il a de l'esprit. Il l'a fait rire. Ils ont dansé. Louise n'a pas compté les danses. Mais le galop était amusant, la mazurka délicieuse, et la valse ... oh ! la valse ! Il lui semble qu'elle s'en souviendra toute sa vie.

Elle s'installe au piano et l'ouvre. Elle tape distraitement quelques notes, le temps de trouver une inspiration, une envie. Et puis elle feuillette son répertoire, posé sur le pupitre et arrive à « O Lieb » de Liszt. Elle se consulte, elle ne connaît pas très bien l'allemand, mais elle connaît la musique. Tant pis, elle ne chantera pas, elle jouera juste. Elle repose le cahier et commence à jouer la mélodie.

Héloïse de Marvac, prête à entrer dans le salon, s'arrête un instant pour écouter. Depuis qu'elle a rencontré Thomas, Louise est comme transfigurée. Elle sourit plus, a moins souvent cet air triste que la comtesse lui voyait depuis la mort de son père, et anime gaiement la maisonnée. La vieille femme soupire et entre dans le salon en souriant. Si ce Thomas est le prétendant rêvé, elle ne pourra pas profiter longtemps de cette charmante compagnie. Elle s'installa dans une bergère et prit son ouvrage de broderie tout en écoutant la jeune fille jouer.

Le froid a tout saisit depuis quelques jours, les givre dessine des fleurs aux coins des fenêtres, dehors, le sol est glacé, glissant le matin. Un bon feu crépite dans la cheminée du salon. Louise a pris un livre, d'une voix claire elle prononce les phrases, en mettant le ton. Une domestique vient leur apporter du thé et des gâteaux. De temps en temps, Louise s'interrompt et lance un regard vers la porte ou la fenêtre.

Héloïse sourit, les yeux penchés sur son ouvrage, faisant comme si elle ne remarquait pas l'interruption de la lecture. Elle sait que Louise attend Thomas. Elle l'a vu samedi, et il est venu dimanche, la saluer à la sortie de l'église. Et Héloïse lui a alors proposé de venir aux Aubépines, pour prendre une invitation pour le bal du samedi qui vient. Un prétexte idéal pour que les deux jeunes gens se voient en dehors du cadre des bals. Bien sûr, la comtesse sera là, qui surveillera du coin de l'œil.

Vers 15h, le trot d'un cheval se fit entendre au perron. Louise leva aussitôt la tête du livre et croisa le regard de la comtesse. Cette dernière sourit. Quelques secondes plus tard, Thomas de Saultave était introduit dans le salon de musique.

Il était bien content de retrouver de la chaleur après les lieues qu'il venait de parcourir à cheval dans le froid, malgré la chaude pelisse dont il s'était vêtu. Mais la fortune de la jeune fille en valait la peine. C'est ce que se disait Sylvien. Et la perspective de cette fortune à portée de main lui avait fait faire une folie, qu'il offrit à la jeune fille après les salutations d'usage.

- Mademoiselle, si vous me permettez, j'aimerais vous offrir ces quelques roses ...

Il lui présente un bouquet de roses rouge assez conséquent. Louise et Héloïse ouvrirent de grands yeux. Et la jeune fille prit le bouquet comme si c'était un trésor. Ce qui était en partie le cas. La comtesse observe les fleurs. Magnifiques ! Elle en compte 36 : un chiffre de bon augure, qu'elle ne manquera pas de faire remarquer à Louise si elle-même ne s'en rend pas compte.

- Monsieur de Saultave, où avez-vous donc trouvé de telles fleurs, aussi belles, au mois de novembre ?

- Ah, madame, permettez-moi de garder mes secrets. Le charme est rompu quand il n'y a plus de mystère, ajoute-t-il en glissant un regard vers Louise.

Et en effet, le charme opère. Héloïse de Marvac se fait la réflexion que même si le jeune homme a entendu parler de l'affaire de l'héritage - ce qui est presque certain au vu de la propension des rumeurs à se divulguer - il doit être bien riche pour s'octroyer de telles caprices, et être vraiment épris de Louise, ce qui exclut tout appétit vénal de sa part. Celle-ci d'ailleurs lève des yeux charmants vers le jeune homme qui sourit. La comtesse interrompt cette contemplation mutuelle.

- Puisque vous êtes ici, monsieur, vous accepterez bien de rester prendre un thé avec nous. Je vous donnerai l'invitation pour le bal de samedi dans un instant. Louise pourrait nous jouer quelque chose.

Les deux amoureux sourient et vont prendre leurs places : Louise au piano, Thomas sur un fauteuil près de la comtesse. La jeune femme commence un récital en faisant harmonieusement courir ses doigts sur le clavier. Thomas lui jette des regards souriant chaque fois qu'il le peut, alors que la comtesse discute avec lui. Elle l'interroge sur ses perspectives d'avenir, sur sa famille, sa maison aussi.

Thomas lui répond d'une voix qui paraît distraite, il semble tout absorbé par Louise. En réalité le Sylvien qu'il est vraiment fait extrêmement attention à chaque réponse ; son avenir est assuré, il est orphelin, il habite Paris. La comtesse se satisfait chaque fois de ses réponses. C'est un charmant jeune homme. Si elle avait pu avoir des réticences au début, celles-ci se seraient évanouies peu à peu. Vient un moment où elle décide d'aller chercher la fameuse invitation pour laquelle il est venu : il ne s'agit pas d'oublier ce détail d'importance.

Thomas profite de ce moment de solitude pour venir derrière Louise et lui tourner les pages de sa partition. La jeune femme affecte d'avoir les yeux fixés sur les feuilles et les notes, mais son cœur battant, ses joues roses n'échappent pas à Thomas qui sourit et finit par se pencher à son oreille.

- Louise, si vous le permettez, il faudra que je vous parle, seul à seule, samedi soir.

Louise s'interrompt. Cela ne peut signifier qu'une chose. Elle hoche doucement la tête et reprend la mélodie, une joie intérieure l'habite toute entière. Thomas se recule, et va reprendre sa place dans le fauteuil. La comtesse rentre à cet instant et lui tend le carton d'invitation. Il se lève et la remercie chaleureusement.

- Il se fait tard, je vais devoir vous quitter sinon je ne serai pas rentré avant la nuit, s'excuse-t-il.

Louise cesse de jouer et vient rejoindre Thomas et la comtesse. Il les salue toutes les deux puis reprend son chapeau, son épais manteau, échange des civilités et continue de bavarder un peu le temps qu'on lui amène son cheval, puis il quitte Marvac avec la promesse de revenir le samedi.

Sur le perron, emmitouflées dans leurs châles, la comtesse et Louise le regardent s'éloigner dans la grande allée. Leurs souffles condensés se mêlent dans l'air froid. Une fois qu'il a franchi les grilles, elles rentrent à l'intérieur, retournent près de la cheminée.

- Il veut me parler samedi soir, annonce Louise.

- Bien. Nous verrons ce que cela donnera.


Je vous prie de m'excuser du retard que j'ai pris sur cette publication. Ce chapitre m'a été assez difficile à écrire, et j'espère qu'il vous plaira malgré tout.

La suite devrait venir mercredi prochain, et j'essaierai de reprendre le rythme de publication que j'avais adopté au début. Ceci sous réserve que mes cours le permettent.

Amicalement,

Sl4shh

Amours & cupiditésWhere stories live. Discover now