18 - Sur le toit du monde

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Chaque veille des vacances d'hiver, le lycée de Tristan organisait un carnaval : tous les élèves et professeurs devaient se costumer et plusieurs petites activités étaient proposées.

Les précédentes années, Tristan n'avait pas pu – ou voulu – y participer. En seconde, il avait été malade ; l'année suivante, l'évènement était tombé lors de la période où il s'était refermé sur lui-même et n'avait plus l'envie d'aller en cours ; et pour sa deuxième première, il avait tout simplement séché les cours, ne souhaitant pas se mêler à toute cette joie et bonne ambiance. Finalement, cette année, la dernière qu'il passerait au lycée, l'envie de connaître cette atmosphère se fit tout de même sentir.

Toutefois, le matin du carnaval, il n'avait pas encore de déguisement. Par défaut, il se vêtit de son ancienne blouse, achetée pour les cours de chimie de seconde, et rajouta quelques stylos dans la poche : ainsi il se ferait passer pour un scientifique. Malgré son costume simple, on l'accueillit au lycée avec amabilité.

Tout au long de la journée, le jeune homme fut étonné de la bonne ambiance que le carnaval produisait : les groupes semblaient avoir disparu, les différents clivages sociaux gommés ; les professeurs riaient avec les élèves, on chantait, on déjeunait tranquillement sur la pelouse. Certains s'inspiraient de leur costume pour jouer des saynètes, parfois avec des personnages d'autres univers que les leurs. Jamais Tristan n'aurait cru connaître une telle atmosphère de paix relative au lycée.

Cela aurait pu même l'inspirer à s'y joindre, si durant toute sa scolarité il n'avait pas été habitué à ne pas être convié à ces moments de réunion. Il préférait rester en retrait, près des portes du hall principal, loin de la cohue ; il appréciait aussi qu'on respectât son choix, personne n'esquissant un geste vers lui. Dans le cas contraire, cela aurait pu le forcer à nouer un quelconque lien avec un inconnu, une des choses pour lesquelles il éprouvait encore du malaise.

Et Ornella ?

Cette pensée résonna dans son esprit, tel le bruit d'une goutte d'eau qui, en tombant, brisait irrémédiablement la quiétude de ses pensées.

Toujours. Toujours, même au milieu de cette joie, bercé de ce sentiment d'irréel, Tristan ne pouvait s'empêcher d'avoir une pensée pour la jeune fille. Il ne lui avait plus parlé depuis presque trois mois, mais elle gardait une place dans ses pensées – son cœur –, quoiqu'il advînt.

Le monde autour de lui se brouilla, s'assombrit, l'étouffait. Son esprit se déconnectait de cette réalité, voulait s'enfuir, loin. Les bruit, même les plus insignifiants, vinrent l'agresser.

Seul. Une envie, non, un besoin, d'être seul, vraiment seul. À tel point qu'il en tremblait.

Tristan se força à expirer et inspirer, reprendre le contrôle ; fermer les yeux ; se défaire de toutes ses pensées, tournoyantes et psychédélique, retrouver le silence. Toutefois, il savait que cela ne serait que de courte durée – il devait vite trouver un endroit où s'isoler. Mécaniquement, l'adolescent rentra dans le bâtiment du lycée et gravit les cinq étages pour se rendre sur le toit. Ce dernier restait accessible aux élèves, car on y avait installé des filets, empêchant ainsi tout incident.

Le jeune homme entendait encore le bourdonnement de la musique et certains cris ou éclats de rire, mais il se sentait tout de même assez éloigné de ce débordement de joie. Par chance, de par cette journée de fête, personne d'autre n'était présent. Il s'assit sur un banc et porta son regard sur le paysage urbain.

Étrangement, il trouva dans cet horizon de tours grises entrecoupées parfois de verdure une singulière beauté. Ce paysage l'apaisa. Parce que c'était son monde, celui qu'il avait toujours connu, son monde qui l'avait vu grandi, façonné d'une certaine manière, au fil du temps, un temps qui lui paraissait s'écouler curieusement, s'éternisant lors de périodes pourtant toujours éphémères, puis s'accélérant à l'occasion d'événements – quelle que soit l'aura de ces moments, la joie et la tristesse mêlées.

Ce même temps qui blesse, ce même temps qui guérit. Ce temps aux deux visages.

Ce temps qui lui ébauchait peu à peu des jours plus beaux : en dépit de la peine qui lui serrait le cœur quand il y pensait, il commençait à se faire à l'idée qu'il ne reparlerait peut-être plus à Ornella. C'était sa faute, à lui, à elle, à eux deux. C'était le destin, ou le hasard, ou les deux ? Peut-être Ornella n'avait été que cette main tendue éphémère, à ses côtés juste au bon moment, juste assez de temps pour qu'il ne sombre pas irrémédiablement. Ils se reverraient un jour, dix, trente ans plus tard – trop tard.

Et alors il ne resterait de leur histoire qu'un interlude, amer et exquis ?

Qui l'avait sauvé, en lui faisant ouvrir les yeux. Il s'était enfin réveillé de la malsaine langueur dans laquelle il s'était plongé. Il avait eu un but, connu à nouveau la joie, il s'était consacré à quelqu'un d'autre que sa petite personne.

Se remémorant les difficultés qu'il avait dû affronter, il se sentit comme un combattant, qui aurait dû lutter contre des démons opiniâtres et qui maintenant osait regarder derrière lui, regarder les restes fumants du champ de bataille.

Un combattant qui déposerait enfin les armes, triomphant.

J'ose rêver d'une sérénité et de l'effleurer.

Tristan ferma les yeux, respira à pleins poumons, guetta les bruits de la nature et de la ville. Il sourit, paisiblement, doucement.

Une brise chaude, annonçant le printemps proche, souffla, emportant dans son sillage quelques notes d'espoir et de joie.

Je dois avouer que la partie du Carnaval m'a donné du fil à retordre (d'autant qu'avant elle était beaucoup plus développée), car j'ai dû me replonger dans ce qui se faisait dans mon ancien lycée et

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Je dois avouer que la partie du Carnaval m'a donné du fil à retordre (d'autant qu'avant elle était beaucoup plus développée), car j'ai dû me replonger dans ce qui se faisait dans mon ancien lycée et... quelle période détestable de ma vie c'était =D

(CC2018) Chaque année le printemps revient [TERMINÉE]Where stories live. Discover now