7 - La rouille

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    Les cours avaient repris depuis bientôt un mois. Les températures avaient baissé et les belles couleurs verdoyantes des arbres avaient tiré leur révérence pour laisser place à des feuillages chatoyants.

    Après le lycée, Tristan s'attardait sur le chemin, retardant le moment fatidique de pousser la porte de sa maison et pouvant par la même occasion profiter de la douceur automnale. Ce fut aussi lors d'une de ces flâneries que le jeune homme avait croisé Ornella, rentrant également des cours.

    La gaieté qu'il lut sur le visage de son amie l'étonna ; comme s'il lui avait manqué. Un peu gauchement il essaya de lui rendre son entrain mais il ne parvint qu'à articuler des banalités. Il se proposa toutefois de la raccompagner jusqu'à chez elle. Sur le chemin, ils s'arrêtèrent à un petit café qui proposait des boissons chaudes à emporter ; Tristan commanda un chocolat chaud, et paya aussi le thé à la vanille que son amie avait demandé.

    Leur consommation à la main, les deux adolescents reprirent le chemin jusqu'à la maison d'Ornella, toujours silencieux. Enfin, arrivés devant le portail de l'habitation, la jeune fille remercia Tristan de l'avoir accompagnée. Avant qu'il ne parte, elle l'invita à une balade en vélo le week-end suivant, pour profiter des dernières réminiscences de l'été. Il ne répondit rien, pris au dépourvu, ce que son amie comprit comme un accord.


    La veille de leur rendez-vous, Tristan entreprit de partir à la recherche de son ancien vélo dans le garage. Le trouver ne fut pas chose aisée dans la pagaille, et quand il envisagea de le sortir, le désordre qui régnait s'aggrava à cause des choses qu'il fit tomber ou déplaça. En le calant contre le mur du perron, il s'aperçut qu'il y avait un peu de rouille dessus. Tant pis, son vélo fera quand même bien l'affaire pour la balade !

    Après cet effort, Tristan aurait plutôt préféré vivoter dans sa chambre, mais il devait encore préparer son panier-repas pour le lendemain. Toutefois, en raison de l'état du frigo qui le dépita, il ne put se préparer qu'un misérable sandwich aux tranches de cheddar industriel.

    Et enfin, il eut tout le loisir de s'adonner à ses réflexions, façonnées de doutes et de peines. Il n'était toujours pas assuré qu'Ornella désirait véritablement sa compagnie, ou si elle lui avait proposé cette sortie uniquement pour se donner bonne conscience, après qu'il lui eût offert une boisson et raccompagnée. Et il se détestait. Il se détestait de se défier ainsi des personnes, de leur possible attachement envers lui.

    Tristan dormit peu encore cette nuit-là, ou mal, toujours harcelé par ces pensées. Machinalement il se doucha, il s'habilla, il vérifia qu'il n'avait rien oublié. Il partit, sur son vieux vélo.

    Ornella l'attendait déjà, toujours enthousiaste. Il se laissa guider, elle l'emmena jusqu'à la forêt, prenant le temps de profiter de l'atmosphère particulière d'entre deux saisons. Ils ne parlaient pas, attentifs aux bruits de la forêt, aux chants des oiseaux, au vent qui faisait danser les feuilles.

    Aux alentours de midi, la jeune fille proposa de prendre une pause déjeuner dans une petite clairière. Ils déposèrent leur vélo sur l'herbe et installèrent les couvertures pour éviter de se salir. Ornella sortit son repas, qui se composait en plusieurs clubs sandwichs, ainsi qu'une bouteille de limonade faite maison et quelques pommes. Le pique-nique de Tristan paraissait encore plus misérable, ce que la jeune fille ne manqua pas de remarquer. De suite, elle prit l'initiative de partager le sien ; son ami ne put refuser, reconnaissant.

    Avant de goûter aux pommes, Tristan attendit quelques minutes pour digérer. Ce ne fut qu'à cet instant qu'il réalisa l'atmosphère de cette journée. La balade s'était jusqu'à maintenant révélée agréable et la clairière était calme, silence ponctué de chants d'oiseaux. Ornella débordait de joie et de bonté.

    Il reçut comme un coup au ventre. Souffle coupé.


    Laisse-moi encore le temps de fuir le présent,


    Il se prit le visage dans les mains. Ce sentiment, ce sentiment qu'il ne connaissait que trop bien. En équilibre au bord de ce gouffre qui l'appelait et auquel il aurait voulu s'adonner, cesser de lutter. Mais... Non, il ne désirait ni gâcher la journée d'Ornella, ni lui révéler cette facette de la personnalité. Il se haïrait d'infliger cela à la jeune fille.

    Seul. Il avait besoin d'être seul. Pourtant il devait encore faire bonne figure, jusqu'à ce que la balade finisse et qu'il raccompagne Ornella jusqu'à chez elle. Encore des heures, des heures interminables. Étouffant un sanglot, Tristan prit sur lui. Il essaya de se recomposer un visage et un sourire bienveillant.

    Les deux amis reprirent leur balade, toujours silencieux pour écouter les bruits de la forêt. Quand le jour commença à décliner, ils empruntèrent le chemin du retour, moment salutaire pour Tristan qui voyait sa comédie prendre bientôt fin.

    Arrivés devant chez elle, Ornella le remercia chaleureusement d'avoir accepté son invitation. Il répondit par un simple sourire – sa voix l'aurait trahi –, se retenant de s'enfuir. Une fois qu'elle eut le dos tourné, il repartit à vive allure sur son vélo. Il coucha ce dernier sur l'herbe, reportant à un meilleur moment son rangement dans le garage. Puis il s'empressa d'ouvrir la porte – une des rares occasions où il n'hésitait pas – et se laissa tomber.

    Il éclata en sanglots, enfin.

(CC2018) Chaque année le printemps revient [TERMINÉE]Where stories live. Discover now