5 - Une valse sous le ciel

244 40 42
                                    

Tristan commençait à regretter d'être venu au festival. Dès l'enfance, il avait montré une préférence pour la solitude, et ce côté de sa personnalité s'était considérablement renforcé depuis deux ans. Seul le métro trouvait grâce à ses yeux, car il pouvait facilement y passer inaperçu. Alors, se retrouver au milieu de toutes ces personnes enjouées, en famille ou entre amis pour la plupart, le mettait mal à l'aise.

Mais il avait beau se reprocher sa visite au festival, Tristan ne pouvait pas en partir. Pas encore. Il prenait sur lui, il serrait les dents, essayait de contrôler sa respiration suffocante par moment. Il évitait de croiser les regards des autres en gardant la tête baissée le plus longtemps possible. Il se tortillait les mains, s'enfonçait les ongles dans la paume.

Oui, il devait prendre sur lui. Il resterait au festival tant qu'il n'aurait pas trouvé ce fameux stand, Aux Délices de Jacques.

Il espérait que l'invitation d'Ornella soit sincère. Peut-être serait-elle contente de le voir ? Il en rêvait.

Pour l'instant, sa recherche s'était révélée infructueuse. Il n'y avait pas de plan à proximité, et il ne pouvait se résigner à demander son chemin aux autres visiteurs.

Puis, peu à peu, il commença à apercevoir des personnes avec des rafraichissements et de la nourriture salée ou sucrée à la main. Il devait se rapprocher des stands consacrés aux repas ! Il reprit espoir, il releva haut la tête et ses yeux coururent sur les façades des exposants. Finalement, son regard accrocha une devanture où était inscrit le nom tant cherché. Ses pas l'y conduisirent tout seul, comme s'il était mu par un fort enthousiasme.

Arrivé devant, il ne fut néanmoins plus si serein, son sourire s'envola. Ses doutes reprenaient leur souveraineté dans ses pensées. Il regarda ses pieds, piteux. Et tiraillé. Il se tordit les mains, tentant de lutter contre sa part d'ombre.

Faisant un ultime effort sur lui, il prit une grande inspiration.

« Ah ! Te voilà enfin ! »

Il reconnut la voix d'Ornella et il poussa une exclamation. Cette dernière s'avançait vers lui, toujours avec ce sourire qu'elle semblait porter continuellement. Toujours aussi familière avec lui, elle le prit par le bras.

« J'ai cru que tu viendrais jamais. » lui glissa-t-elle alors qu'elle l'emmenait vers deux jeunes femmes qui devaient être ses sœurs.

Ces dernières s'arrêtèrent de discuter et examinèrent le nouvel arrivant. Tristan crut déceler un certain étonnement sur leur visage quand elles le virent.

« Calista, Eurielle, je vous présente...

— Tristan. »

Il s'étonna d'avoir réussi à articuler son prénom, car sa timidité commençait à lui nouer de nouveau le ventre.

Les sœurs le saluèrent et envisagèrent de faire goûter au jeune homme les pâtisseries vendues par leur oncle. Le fameux Jacques, un homme dans la soixantaine, accueillit avec entrain l'ami de sa jeune nièce et lui donna tout un sachet de confiseries. Bien que gêné par cette générosité, Tristan ne put refuser. Il appréciait peu de tester de nouveaux goûts, toutefois il se força à croquer dans une des spécialités des Délices de Jacques, un pain au chocolat brioché avec un cœur de crème pâtissière. Il fut surpris d'aimer la saveur et ne tarda pas à dévorer le reste de sa viennoiserie.

Ornella proposa ensuite d'aller voir quelques activités proposées en attendant que le festival ne débute véritablement. Calista et Eurielle les laissèrent tous deux, jugeant qu'ils s'amuseraient mieux sans deux chaperons. Cela étonna Tristan, qui se demandait pourquoi et comment elles pouvaient laisser une fille de quinze ans avec un jeune homme qu'elles connaissaient à peine. Quant à la jeune fille, elle ne s'en formalisa pas et l'entraîna vers un illusionniste.

Le magicien captiva Tristan, avec la grâce de ses mouvements et la naïveté qu'il semblait accorder à sa « magie ». Plus loin, ce fut un jongleur dont les boules de verre reflétaient les lumières autour, et ressemblaient à des bulles de savon aux mille couleurs. Ornella le laissa admirer le numéro autant qu'il souhaitait, avant de l'attirer auprès d'une jeune femme qui proposait des scènes de senteurs, quelques essences renfermées dans de petites fioles.

Aucune ne plut véritablement à Tristan.

Pendant qu'il essayait une fiole nommée Longue soirée d'hiver, il leva les yeux vers Ornella. Les paupières mi-closes, elle arborait un doux sourire. Sa scène devait certainement lui rappeler un épisode précis de son passé ou d'éparses réminiscences. Il ne la connaissait pas encore, mais il saisissait déjà l'importance de la sérénité qui se dégageait d'elle à cet instant.


Et mon cœur sombre dans cette mer étoilée


Alors qu'il continuait de l'observer distraitement, la rumeur du début imminent du spectacle se propageait. À contrecœur il lui posa la main sur l'épaule. Elle rouvrit les yeux, doucement, et fronça les sourcils. Il leva simplement la tête vers le ciel.

Un nouveau sourire apparut sur son visage.

« Il faut qu'on aille retrouver mes sœurs. Dépêchons-nous ! »

Lui prenant la main, elle le guida à travers la foule venue au festival, virevoltant entre les groupes, riant aux éclats, alors que les premières étoiles filantes commençaient à traverser la Voie Lactée. Et sous ce ciel d'où tombaient les étoiles, valsant au milieu de ce parfum grisant et de ses rires joyeux, Tristan effleura l'éternité.

(CC2018) Chaque année le printemps revient [TERMINÉE]Donde viven las historias. Descúbrelo ahora