8 - La fin des hommes

190 28 29
                                    


Les jours qui suivirent ce week-end furent compliqués pour Tristan : il devait continuer d'aller en cours malgré le besoin de rester seul, loin de tout. Il pouvait néanmoins se consoler en reconnaissant qu'il restait tel un fantôme aux yeux de ses camarades, à errer dans les couloirs sans l'ombre d'un but.

Toute la semaine, tous les jours, toutes les heures, il compta le temps qui le séparait du moment fatidique où il pourrait se retrouver en tête à tête avec ses pensées l'espace de plusieurs jours.

Le vendredi soir arriva. Le jeune homme pouvait enfin souffler, arrêter de faire comme si. Lorsqu'il rentra, la maison était encore vide. À quand remontait la dernière fois où quelqu'un d'autre que lui avait passé le pas de la porte ? Impossible de le savoir.

Comme la plupart du temps, il s'enfuit dans sa chambre, pour n'en ressortir que pour se laver et se rassasier un minimum. Il s'assit par terre, appuyé contre son lit. Il rejeta la tête en arrière et ferma les yeux.

Depuis combien de temps sa vie ressemblait-elle à ce néant ?

Tristan ne pouvait pas fournir de date précise ; juste l'événement qui l'avait engrené : la mort de son grand-père paternel.

 À vrai dire, il ne gardait que peu de souvenirs de cette période. Il avait pleuré, oui, comme les autres membres de sa famille. Le temps du deuil était passé. Sauf pour son père : la mort de son propre paternel l'avait profondément altéré. Cela avait commencé par un constant manque de motivation, l'esprit ailleurs. Un renfermement sur soi. Un retour en enfance, des crises et des caprices, des supplications pour que son père vienne lui conter une histoire du soir.

Sa femme essayait de le sortir de cet état, elle y mit tout son cœur et fit tout ce qu'il était possible. En vain. Finalement, après plusieurs mois dans cette situation, on avait décidé de l'hospitaliser dans une clinique spécialisée, pour un temps non défini.

Après son père, ce fut au tour de sa grande sœur, Antonia. Elle avait toujours été une forte tête, opiniâtre, souvent blessante, particulièrement avec son frère – ce que ses parents ne voulaient pas laisser passer. Mais leur père affaibli, le caractère de la jeune femme n'avait plus à ployer. Un soir, après qu'elle eut injustement critiqué Tristan, la situation s'était envenimée avec leur mère. Antonia était partie en claquant la porte. Elle était revenue quelques jours plus tard pour récupérer ses affaires. Puis elle ne leur avait plus donné signe de vie.

En voyant que la situation lui échappait complètement, irrattrapable, leur mère avait alors décidé de se donner corps et âme à son travail. Elle avait obtenu un poste à plus hautes responsabilités, partait en voyage d'affaires. Ce n'était pas pour autant qu'elle abandonnait totalement son fils : elle n'oubliait pas de s'occuper des choses importantes et verser l'argent nécessaire pour entretenir la maison.


De revenir sur ce qui a été emporté par mille vents,


Tristan savait qu'il ressemblait à son père, psychologiquement ; sa famille n'avait cessé de le remarquer depuis qu'il était enfant. Il savait aussi que ce n'était pas seulement la mort de son grand-père qui avait plongé son père dans cet état-là. Il connaissait les tourments dont son père s'affligeait. Il les avait vus et les subissait. Il devait prendre garde, il ne devait pas sombrer lui aussi, mais toutes ses résolutions devenaient fumée dès l'instant où il se les énonçait.

Ressasser ces évènements épuisait le jeune homme. Physiquement et mentalement. Il se laissa glisser, sur le sol de la chambre, dans les abîmes de son âme.

(CC2018) Chaque année le printemps revient [TERMINÉE]Where stories live. Discover now