⭐81. Et ils vécurent heur... oups !

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— Conduis-moi à elle ! implorai-je Monica.
— J'ai réfléchi et je pense qu'il serait mieux que tu ailles tout seul, estima ma sœur. Elle m'a dit qu'elle était à El Matador. Cherche-la là-bas.
— C'est pas une plage, ça ? m'intriguai-je. Pourquoi elle est là-bas ?
— Je ne sais pas, admit l'Italienne en haussant les épaules. En tout cas, grouille ! À ta place, je ne perdrais plus une seconde, me conseilla-t-elle, la mine grave, avant de tourner les talons.
— Hey ! la hélai-je avant qu'elle n'ouvre la portière de sa voiture. Merci !
Un petit sourire étira son visage lorsqu'elle se retourna, en énonçant avec une certaine complaisance :
— Oui, je suis la meilleure des grandes sœurs... mais la pire psychologue sur terre, termina-t-elle en faisant la moue.
— T'es la meilleure des deux, tu peux me croire.
Et je le pensais vraiment. Oui, elle pouvait me faire chier parfois, mais j'étais heureux qu'elle fasse partie de ma vie. Je n'imaginais pas comment j'aurais pu survivre ces derniers mois sans elle et ses conseils.
— Dégage de là, ordonna-t-elle en faisant le geste de me chasser. Va récupérer ton cocard à toi.
— Trop drôle, ironisai-je en grimpant dans l'Aston Martin.
Je démarrai sans perdre de temps, la boule au ventre, après avoir rentré El matador beach dans le GPS.
J'avais peur ; peur de chaque future seconde. Je tapotais le volant dans un geste nerveux tout en conduisant. Mon esprit était brouillé. J'avais mal à la tête.
Même si elle ne voulait plus de moi — ce qui serait parfaitement justifiable — elle portait mes... enfants. Je ne pourrais pas la laisser seule. Et je me devais de la convaincre de ne pas risquer sa vie.
Pitié, faites que je trouve les mots justes ! priai-je en arrivant une heure plus tard sur le parking d'El Matador.
Ce dernier surplombait une falaise dans laquelle était creusé un sentier, qui lui-même rejoignait des escaliers conduisant à la plage à l'allure sauvage.
Je n'étais jamais venu dans ce lieu auparavant, mais je devais avouer qu'il avait un charme très particulier, avec ses énormes rochers, et ses minis grottes.
En cette fin d'après-midi, il ne comptait pas plus d'une vingtaine de visiteurs. Ce fut donc assez facile de repérer Sara.
Assise sur le sable un peu en retrait, dos face à la falaise, elle était vêtue d'un tee-shirt boyfriend qu'elle avait inséré à l'intérieur d'un jean oversize. Ses cheveux courts balayés par le vent, elle fixait les vagues d'un air totalement absent. Cependant, elle ne sembla nullement surprise lorsque je surgis à côté d'elle.
— Je savais qu'elle te le dirait tôt ou tard, soupira-t-elle d'une voix éreintée. Je n'aurais jamais dû tout lui raconter. Mais que veux-tu ? J'étais seule. Elle a appelé et j'ai craqué.
C'était encore plus dur que je ne le croyais. Ça me retournait toujours de la revoir après un bon moment. Je voulais la serrer dans mes bras, l'implorer, l'embrasser, m'excuser... mais je restais figé, incapable de faire le moindre geste.
— Je suppose que t'es là pour me « raisonner » aussi ? fit-elle avec une légère pointe de sarcasme, en levant les yeux pour finalement croiser mon regard. Je te préviens d'avance que tu perds ton temps. Tu peux retourner là d'où tu viens. Je les garderai, même si tout le monde est contre ma décision.
J'étais encore debout et je trouvai cette position ridicule pour une conversation alors qu'elle-même était par terre. Je m'installai à côté d'elle et déposai mes bras sur mes rotules.
— Que t'est-il arrivé ? m'interrogea-t-elle en fronçant les sourcils d'un air inquiet, devant mes plâtres.
— Ce n'est pas important, balayai-je sa question de la main. Ça va ?
Mieux valait commencer par le plus facile, le temps que je trouve quoi lui dire.
— Fais pas comme si t'en avais quelque chose à faire, rétorqua-t-elle d'un ton redevenu distant, en se remettant à fixer les vagues.
Autant pour moi !
Une partie de moi, n'avait pas envie d'insister, juste pour me punir. Je ne la méritais pas. Mais en même temps, j'étais une merde sans elle, et désormais, il y avait ce problème de gosses. Je devais la reconquérir. J'avais des sentiments tellement partagés ; je ressentais un tel niveau d'amertume et de lassitude envers moi-même, qu'ils se manifestèrent même dans ma voix, lorsque je pris la parole :
— Je sais que tu as eu l'impression que je t'ai abandonné, mais j'ai disparu parce qu'en fait, je suis fatigué de dire désolé. Je suis fatigué de foirer. Je ne voulais plus te regarder pleurer par ma faute. Et là, je viens d'apprendre la vérité, et je me sens comme le plus gros con de l'univers. J'aurais dû au moins essayer de me justifier... J'ai été drogué à cette soirée et je suppose que tu sais que je n'ai pas vraiment couché avec Daphney... Écoute, je regrette que tu sois tombé sur moi, mais je n'ai pas d'autres choix que de te coller aux basques, parce que je ne suis rien sans toi. Et...
Je m'étais interrompu pour essuyer une larme qui avait coulé sur ma joue avant de reprendre, l'émotion plein la voix :
— Je ne sais pas quoi faire. Dis-moi, s'il te plaît. Je ne comprends même pas comment tu as pu m'aimer ! Regarde ! Je ne peux même pas te promettre que je ne te ferai plus souffrir, parce que je suis un con ; c'est inévitable. Je peux juste t'assurer que je suis prêt à tout pour que ça n'arrive plus, parce que j'en ai marre de te faire du mal. Je ferai tout ce que tu voudras. Je suis prêt à t'épauler et je... je respecterai ta décision si tu veux garder... les enfants.
— Qu... quoi ? s'étrangla-t-elle.
Elle était restée tout le long de ma tirade, les lèvres pincées, le regard braqué sur le sable devant elle, comme quelqu'un qui était épuisé, mais qui était trop poli pour m'intimer de la fermer.
Cependant, suite à ma dernière phrase ; elle s'était retournée d'un bond, et là elle me fixait avec des yeux aussi choqués qu'incrédules.
Je sus à cet instant précis que je venais de la trouver, ma chance de la récupérer.
— J'accepte que tu les gardes, répétai-je en adoptant mon ton le plus éloquent. Tu es assez forte pour arriver à terme de cette grossesse.
Mais je ne vais pas te laisser prendre ce risque.
D'après ma sœur, malgré les progrès scientifiques, le taux de mortalité était encore assez important chez les mamans atteintes de cette maladie. Leurs cœurs trop faibles les lâchaient pendant l'accouchement, et les chances qu'on arrive à les ramener étaient très minces. Pour la plupart des femmes en question, il ne s'agissait même pas de grossesse gémellaire.
Donc Monica avait pleinement raison : deux, c'était du suicide.
Oui, j'avais menti à Sara. Elle n'aurait pas ces enfants. J'allais m'en assurer. Ma conscience pouvait aller se faire foutre, il s'agissait de sa vie. J'étais prêt à tout.
Elle n'avait personne pour la soutenir. Je doutais que quiconque tenant un minimum à elle, accepte qu'elle prenne ce risque. Mais c'était Sara, elle n'en ferait qu'à sa tête. Il était inutile de lutter contre elle ; pas en employant la force, en tout cas.
Elle ne me pardonnerait jamais ce que j'avais en tête, mais je n'avais pas le choix. Quoi que je fisse, j'avais l'impression que je la perdrais à la fin de cette histoire. Je m'étais déjà résigné à cette éventualité, mais au moins, si je réussissais, je la perdrais vivante.
— J'ai l'intention de me battre, assura-t-elle d'un air déterminé. Mais tu sais qu'il y a beaucoup de chances que je meure à cet accouchement ? Tous les médecins m'ont prévenue. Tu es sûr que tu acceptes ?
Et pourquoi diable tu gardes ces choses, bordel ?
— Je sais, confirmai-je en tirant sur mon labret imaginaire. Mais je t'aime plus que tout. Ça inclut de t'aimer aussi avec ta tête de mule. Si tu veux les garder, je suis avec toi.
Elle sourit doucement et ce fut pour moi comme un coup de poing dans mes côtes fracturées. J'étais vraiment une pourriture ! Je me forçai cependant, à lui sourire en retour et elle ferma les yeux en expirant, comme si venait d'être soulagée d'un poids. Ensuite, elle pivota totalement et s'assit sur ses talons pour planter ses yeux brillants d'émotions dans les miens.
— Promets-moi que si je ne survis pas, tu prendras soin d'eux, que tu les aimeras plus que tout et qu'ils pourront toujours compter sur toi.
Je déglutis difficilement avec la boule qui enserrait ma gorge avant de hocher la tête d'un air peu convaincant. Je n'allais pas aimer ces enfants puisqu'ils ne naîtraient jamais. Je me demandais comment elle pouvait imaginer une seule seconde de se sacrifier pour des... êtres qu'elle ne connaissait même pas ? Comment pouvait-elle les préférer à moi ; à la vie ?
À l'intérieur, je hurlais de rage et de désespoir. Ça allait être plus dur de lui mentir que je le croyais.
Mon manque d'enthousiasme ne passa pas inaperçu, car sa bouche s'affaissa et elle se tordit la main dans un geste gêné. Il fallait que je me rattrape vite, si je voulais garder sa confiance. Je devais vite enfiler mon masque le plus persuasif pour lui faire croire que j'étais de son côté.
— Écoute ! C'est juste que je ne veux pas que tu parles de ta mort, me justifiai-je. Tu es plus forte que ça. Tu vas les mettre au monde, et on va former une belle famille. Bien sûr que je vais les aimer. Ce sont des petits morceaux de nous.
Elle esquissa un faible sourire, sans donner l'impression d'être vraiment convaincue. Alors je lui attrapai la main et sortis ma meilleure expression rassurante en la regardant droit dans les yeux.
— Tu vivras ! On trouvera les meilleurs spécialistes. On s'en sortira ensemble.
J'espérais de tout cœur que je disais vrai et qu'on trouverait ces dits spécialistes, car sinon mon âme en pâtirait.
— Merci de croire en moi, souffla-t-elle le regard empli de reconnaissance. Ça paraît fou, mais je les aime tellement déjà. Ils viennent à peine d'avoir deux mois, pourtant, je me sens capable de tout pour les protéger. Je les ai vus à l'échographie, ils ne sont pas encore grand-chose, mais je suis sûre qu'ils seront géniaux, s'enthousiasma-t-elle, avant de se radoucir, comme si elle craignait d'en faire trop. Toi, tu peux comprendre, pas vrai ? Tu... tu es leur père. Je vais m'accrocher de toutes mes forces, mais promets-moi quand même que si ça se passe mal, ils pourront compter sur toi.
J'étais sur le point de craquer. C'était trop dur, putain ! Non, je ne les aimais pas. Je n'avais jamais voulu être père. Et en plus, ces trucs menaçaient la vie de celle que j'aimais ! Comment pourrais-je les aimer ? Je ne trouvai pas le courage de proférer ce mensonge-ci en soutenant son regard. Je manquais d'air. Je savais que si je parlais sur le moment, ma voix me trahirait. C'était trop cruel de la part de La Vie de m'imposer ça !
J'attirai Sara contre moi et l'installai entre mes jambes. Je pris ensuite le temps de bien respirer avant de lui promettre de veiller sur eux. Puis je lui embrassai le haut du crâne, tandis qu'une larme involontaire roulait sur ma joue.
C'était de la torture. Ni plus, ni moins.
Rassurée, elle se laissa aller contre moi et on resta en silence, avec le bruit des vagues en fond sonore. N'importe qui qui passait à ce moment-là pouvait nous prendre pour le couple le plus heureux sur Terre.
J'avais l'impression que la vie se foutait de notre gueule, tellement l'instant semblait parfait.
Chaque cellule de mon corps me suppliait d'exploser et de tout casser. Mais je savais que je devais lutter pour rester calme, car c'était certainement l'un de nos derniers moments ensemble. Je n'avais pas le droit de tout gâcher.
Chaque putain de seconde comptait, alors je la serrai plus fort contre moi et inspirai son odeur, comme si je voulais en mémoriser chaque détail, chaque petite nuance...
— Tu m'as demandé pourquoi je t'aimais, pas vrai ?
La question me décontenança quelque peu, car je ne m'attendais pas à ce qu'elle s'attarde sur ce détail.
— Oui, répondis-je en essayant de deviner où elle voulait en venir.
— Je t'aime, car tu me laisses être moi, expliqua-t-elle avec entrain. D'habitude, les gens essaient de me brider, pas de m'encourager. Pas toi. Tu m'aimes dans mon entièreté. Tu seras un bon père, j'en suis certain. Je sais que tu ne voulais pas d'enfants, fit-elle avec un petit rire navré. Peut-être était-ce à cause du traitement que t'as infligé ton père, mais tu n'es pas comme lui. Tu n'as pas à avoir peur. Tu verras, tout va bien se passer, conclut-elle avec assurance.
Quelqu'un peut me dire ce que j'ai fait pour mériter un karma pareil ?
Cette fois-ci, je crus vraiment que j'allais céder et tout lui balancer. Je fermai fort les yeux et me mordis l'intérieur des joues jusqu'au sang pour ne pas hurler. Cette douleur que je ressentais dans mon âme était inhumaine.
Pourquoi avais-je l'impression que La Vie voulait m'apprendre une leçon ?
Ce n'était pas juste qu'Elle m'inflige tout ça, juste pour ça ! Elle n'avait pas le droit d'exiger ça de moi. Je suffoquais. Mon cœur se désintégrait et je devais mobiliser toute ma volonté pour ne pas fondre en larmes. Je ne voulais plus la perdre, en aucune façon. Elle était tout ce que j'avais. Mais ce n'était pas comme si La Vie en avait quelque chose à faire...
— Je peux t'embrasser ? demandai-je à Sara dans un souffle, à bout de forces.
Je pouvais sentir un feu d'artifice en train d'exploser dans mon crâne. J'avais besoin de l'embrasser. J'étais sur le point de devenir fou.
— Non ! répondit-elle calmement et je me figeai contre elle.
Non ? Juste non ? Je ne m'attendais pas à une telle franchise. Je devinais qu'elle m'acceptait, car j'étais le seul à la soutenir, mais qu'elle ne m'avait pas pardonné pour ces derniers jours.
— Finalement oui, reprit-elle en se retournant avec un sourire coquin.
Elle vivrait. Je m'en foutais qu'elle me considère comme un monstre après, mais elle vivrait.
D'abord, on irait voir les meilleurs spécialistes, mais si le verdict restait le même ; elle ne courrait pas ce risque. Je préfèrerais être damné.
Sara était une lumière. Elle était faite pour briller ; illuminer des vies, comme elle illumina la mienne en recouvrant ma bouche de ses délicieuses lèvres. Je répondis à ce baiser en l'embrassant de toute mon âme, et en y mettant tout mon amour et mon désespoir. Je m'accrochais à elle comme si j'étais un naufragé et qu'elle était mon unique bouée de sauvetage...
Elle ne mourrait pas !
Je l'aimais. Je l'aimais comme un fou. Je l'aimais à en perdre mon âme, et c'était ce qui allait se passer, car elle vivrait. Je m'en faisais le serment.
☆☆☆
— Maintenant, tu vas me dire ce que t'es arrivé ? insista Sara, appuyée à mon bras droit, pendant que je conduisais.
— J'ai pris une raclée, admis-je d'un ton désinvolte en empruntant un virage sur Ventura boulevard.
Elle se redressa et me dévisagea l'air de dire « c'est pas vrai ! » avant de partir d'un fou rire énorme en renversant la tête en arrière.
— C'est ça rigole ! fis-je mine de bouder.
Je m'en foutais un peu, en fait. C'était bizarre dit comme ça, mais j'avais besoin que Ty me casse la gueule.
— J'aurais aimé être là, se marra-t-elle. T'as supplié pour que l'autre arrête ? Qui d'ailleurs ? T'as chialé ? Oh mon Dieu ! J'arrive pas à y croire !
Je levai les yeux au ciel d'un air amusé, mais avant de rétorquer quoi que ce soit, je m'interrompis, car son visage s'était soudainement fait grave.
— Qu'est-ce qui se passe ? m'inquiétai-je en imaginant le pire.
Oui, j'imaginais beaucoup le pire ces derniers temps.
— Au fait, je viens de me rappeler d'une chose, m'annonça-t-elle, la mine troublée. J'ai vu Shawn dernièrement. Il m'a fait une de ces peur. Il avait l'air vraiment bizarre. Et il m'a chargé de te dire que ça a commencé... Peut-être qu'il se drogue, ou je ne sais pas... mais il n'était pas net. Rick, je ne sais pas ce que tu as fait à cette Barbara, mais ce serait bien que tu fasses des excuses à sa famille ou à Shawn, car il a l'air de prendre cette histoire très au sérieux.
Je soupirai en expirant d'un ton las, en repensant à cette conversation que j'avais eu avec Daphney. Elle savait quelque chose sur ce qui s'était passé. Moi, je n'avais rien à voir dans cette histoire. Il restait à savoir comment je m'y étais retrouvé mêlé.
Je décidai de tout raconter à Sara, car j'étais vraiment innocent dans cette affaire.
— Je n'ai rien fait à cette fille, conclus-je. Je te le jure.
— Shawn semble convaincu du contraire, répliqua-t-elle avec un haussement d'épaules impuissant.
Ça oui, j'étais au courant. Adams n'avait pas eu l'air de plaisanter la dernière fois à New York. Peu importait ce qu'il prévoyait, ça n'allait pas être beau avoir. Je me demandais seulement comment j'arriverais à le persuader que je n'étais pas son coupable.
— Attends, m'intriguai-je en plissant le front, soudainement frappé par un détail.
Il t'a dit que ça a commencé ? Qu... quoi ça ? Qu'est-ce qui a commencé ?
— Je n'en ai aucune idée, admit-elle, l'air d'être presque aussi perdue que moi.


FIN

Rock Hard, Love HarderWhere stories live. Discover now