🌟78. Asocial

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Mon gardien et mon garde du corps faisaient partie de ces petits privilèges que j'avais perdus à la rupture de mon contrat avec Starecord. C'était chiant de ne plus avoir quelqu'un pour m'avertir quand je recevais un colis, par exemple. Et ça l'était encore plus de devoir sortir pour récupérer celui-ci.
J'avais donc fait installer un visiophone dans mon salon, mais peut-être que je n'aurais pas dû. Je commençais déjà à avoir marre de voir apparaître la gueule de certaines personnes qui ne me manquaient pas du tout, sur mon écran.
Trois jours que j'étais rentré et déjà les visites s'élevaient au même nombre. La première avait été de Maryse, que j'avais bien évidemment ignorée. La deuxième à ma grande surprise avait été de Sam et Lara. Mais je les avais regardés déblatérer sur le fait que j'avais toujours leur soutien et n'avais même pas attendu la fin de leurs discours pour retourner m'enfermer dans le home cinema.
Je ne faisais que ça du matin au soir : mater série après série, pour m'éviter de penser. Parfois Nan venait me rappeler que je devais manger, et parfois c'était ma propre odeur qui finissait par me convaincre de me lever de ce foutu sofa.
Là, c'était l'un des rares moments où j'avais décidé de mon propre gré de sortir voir la lumière du jour, et je le regrettais déjà.
Une bouteille d'eau à la main, je passais près du mur où était installé le moniteur intérieur du visiophone, mais je me figeai devant l'image que renvoyait la caméra du boîtier extérieur.
— Rick, je sais que t'es là, déclara l'intrus d'un air convaincu. Je dois te parler.
Daphney était bien la dernière personne sur terre avec qui je voudrais discuter. Je ne savais même pas si j'arriverais à avoir à nouveau une relation normale avec elle ; parce qu'au fond, je lui en voulais beaucoup pour ce qui s'était passé.
Je me sentais trahi et utilisé. À ce que je savais, elle n'avait pas été droguée, ce soir-là. Je m'en foutais qu'elle craque encore pour moi ou pas. Elle savait que mon cœur était pris. On avait grandi ensemble. J'aurais cru qu'elle serait l'une des premières à m'empêcher de faire une connerie, si je n'étais pas dans un état normal, pas qu'elle m'y encouragerait... Elle pouvait jacasser autant qu'elle voulait, je ne lui ouvrirais jamais.
Je repris assez vite ma place dans le home cinema, en face de l'écran géant, mais cette fois-ci, je n'arrivai plus à m'immerger dans l'histoire. Cette conne avait fait remonter toutes les pensées que j'avais lutté pour enfouir ces derniers jours.
J'attrapai rageusement le remote et appuyai sur le bouton Power en interrompant Magnus Bane en plein discours.
Puis je restai dans le noir comme un zombi, avec pour seuls compagnons le bruit de la clim et celui de ma respiration.
Elle était venue pour quoi, finalement ? Pour parler de cette soirée pourrie dont je n'avais aucun souvenir ? Je ne savais pas si c'était ça le pire ou non. Mon esprit se plaisait à imaginer les pires scénarios, tout en me rappelant qu'à la fin de tous, le résultat restait le même : Sara souffrait.
Je fermai les yeux et serrai fort le remote entre mes mains jusqu'à ce que ça brûle. Je ne pouvais pas faire de mouvements brusques sans souffrir dans mes côtes, et ça me démangeait de ne plus pouvoir taper sur quelque chose quand j'étais en colère.
Je me demandais si Sara allait bien. Pensait-elle à moi ? Souhaitait-elle ma mort ? Elle aurait parfaitement raison, après tout.
Je n'avais pas la force de l'appeler. Je ne supporterais pas d'entendre sa voix en sachant que je l'avais encore blessée. Même si au fond, j'étais conscient que je n'étais pas entièrement responsable de ce qui s'était passé, mais je lui avais déjà fait tellement de mal ! Je m'imaginais mal me pointer pour plaider mon innocence, alors que la vidéo avait déjà fait le tour d'Internet et que tout le monde ; sa mère incluse, m'avait vu, moi, embrasser et toucher une autre.
J'avais peut-être été drogué, mais je craignais que rien de ce que je pourrais lui raconter ne serait assez solide pour excuser mon acte. Au pire, je n'en paraîtrais que plus ridicule.
Je devais la laisser tranquille. C'était pour son bien.
Mais c'était dur putain ! Je souffrais tellement de son absence. En plus, à cause de mes sanglots étouffés, mes côtes avaient recommencé à me faire mal.
— Monsieur.
L'ombre de Nan se découpait dans l'encadrement de la porte. Je ne l'avais pas entendue arriver, mais je savais qu'elle m'avait vu en train de pleurer.
— Ne viens pas de la semaine ! ordonnai-je en fixant l'écran noir devant moi.
— Je voulais juste...
— Prends ta semaine, répétai-je d'un ton cassant. Je ne veux voir personne.
Elle hésita pendant un instant, mais elle finit par partir d'un pas hésitant.
Quand tu seras seul dans la grande maison que t'occuperas seul avec ton ego, je veux que tu te rappelles qu'il y avait quelqu'un qui t'aimait et tu l'as laissé tomber.
C'est arrivé plus tôt que prévu, finalement.
Je passai le reste de la journée dans l'obscurité du home cinema, dans cet état d'esprit pitoyable. Je dus m'écrouler à un moment donné, car je ne me réveillai qu'au milieu de la nuit à cause des gazouillements qu'émettait mon estomac.
Je réchauffai donc les pâtes carbo que Nan avait préparées, pris une bonne douche et retournai ensuite dans la pièce qui était devenue ma tombe.
Je fis pareil le lendemain ; passant ma journée, affalé dans ce sofa qui pour mon grand bonheur était moelleux. Je ne me traînai dehors que vers l'après-midi pour commander quelques pizzas, car je crevais de faim.
Je passai ensuite sous la douche le temps de patienter, puis je sortis pieds nus, les cheveux encore humides, dans la cour partiellement dallée, récupérer mon unique repas de la journée.
J'aurais bien pu ouvrir la barrière depuis l'intérieur, mais je n'avais pas voulu inviter un inconnu chez moi.
Oui, j'étais devenu très méfiant aussi.
Je payai en restant de marbre face au livreur enthousiaste et trop bavard, qui finit heureusement par se décourager en pinçant les lèvres d'un air déçu. Il s'attendait à quoi ? Qu'on devienne BFFs ?
J'avais attrapé les boîtes et m'apprêtais à retourner dans la maison lorsque quelqu'un m'interpella :
— Rick !
Merde !
Je n'avais envie de voir personne, nom de Dieu ! Pourquoi ne me laissait-on pas en paix, tout simplement ?
Je tentai de faire le sourd et poursuivis ma progression d'un pas pressant, mais la personne persévérante s'écria derrière le portail :
— Attends !
Je m'arrêtai uniquement parce que je connaissais cette voix, et que c'était improbable que son propriétaire fût vraiment là. Mon cerveau me jouait certainement des tours.
Cependant, lorsque je me retournai ; je le découvris en chair et en os, vêtu d'un tee-shirt noir à manches longues avec un sourire timide plaqué sur son visage.
— Je passais et je voulais faire coucou, se sentit-il obligé d'expliquer, devant mon expression aussi éberluée qu'interrogatrice.
Je haussai les sourcils d'un air dubitatif.
— Tu passais sans aucune raison, dans un quartier où il est interdit de circuler à pied, et qui ne possède que des maisons aux barrières toutes plus hautes que les autres comme paysage ? Il y a mieux pour une promenade à L.A., tu penses pas ? À moins que tu te sois lancé dans l'immobilier dernièrement, raillai-je.
Il serra les lèvres, l'air de dire « tu m'as eu ». Puis un sourire coupable étira son visage et il admit en insérant ses mains dans ses poches :
— Bon OK. J'ai conduit jusqu'ici, car je voulais te voir. Les chances étaient minces, mais je me suis dit pourquoi pas. Tu m'invites ?
Ce n'était pas comme si j'avais vraiment le choix après ça. Je le fis entrer et on marcha en silence jusqu'à la cuisine.
Je déposai les boîtes sur l'îlot central avant d'attraper le premier soda à me tomber sous la main dans le frigo. Ensuite, je m'installai sur un tabouret et engloutis une grosse tranche de pizza, en moins de temps qu'il ne fallait pour dire ouf.
— J'ai faim ! me justifiai-je la bouche pleine, face au regard choqué de Marcos.
Il hocha lentement la tête avant de froncer les sourcils.
— Elle est où ta cuisinière ?
— Je voulais être seul.
Pour me sentir plus minable, ajoutai-je mentalement. C'était comme ces gens qui écoutaient des chansons tristes quand ils étaient déjà d'une humeur maussade.
C'était con, mais on ne pouvait pas s'en empêcher.
Mon invité s'installa sur un tabouret en face du mien et se croisa les mains sur le marbre de l'îlot.
— Joli pansement, commenta-t-il en désignant mon nez, après m'avoir longuement examiné.
Bizarrement, je trouvai ça drôle et je pouffai :
— Tu ne trouves rien à dire, pas vrai ?
— Non, j'avoue, rit-il doucement.
J'enfournai encore une énorme part de pizza que je descendis avec une bonne gorgée de coca avant de m'exprimer :
— Commence par me dire pourquoi tu voulais me voir.
Il se réajusta sur son siège et se mit à jouer avec ses doigts d'un geste nerveux.
— J'ai appris que tu arrêtais la tournée.
— Oui et ? l'encourageai-je, entre deux bouchées.
Ça ne pouvait pas être sa seule motivation. Marcos ne s'était jamais vraiment intéressé à ma musique.
— Et je voulais savoir si tu allais bien, ajouta-t-il d'un air gêné, comme s'il se sentait coupable d'éprouver de l'inquiétude pour moi.
— C'est tout ? doutai-je en m'essuyant la bouche de ma main comme un gros porc.
— Oui. C'est à peu près tout, confirma-t-il.
À peu près ?
J'espérais que cette phrase ne sous-entendait pas ce à quoi je pensais. Mais que ce fût le cas ou pas, un soupçon de culpabilité s'était déjà réveillé dans ma poitrine.
— Eh ben, comme tu peux le voir, je suis en vie, soupirai-je en essayant de relativiser... Au fait, je voulais te dire que j'étais désolé de ne pas avoir répondu à tes messages la dernière fois, m'excusai-je avec autant de sincérité que de sérieux. Tu méritais mieux que ça. Tu méritais mieux que tout ce que je t'ai offert. J'espère que tu t'en rends compte. Je regrette la façon dont je t'ai traité. Je... je n'étais pas prêt pour notre relation. On va dire que j'ai rencontré une bonne personne à un mauvais moment de ma vie, terminai-je avec un petit sourire triste.
Il resta interdit plusieurs bonnes secondes avant de se mettre à me dévisager, les sourcils froncés, comme s'il me voyait pour la première fois.
J'aurais dû lui faire mes excuses plus tôt. La façon dont je l'avais traité était vraiment ignoble. J'espérais qu'il arriverait à me pardonner un jour.
— Et là... tu es prêt ? demanda-t-il d'une voix hésitante.
— Plus ou moins, admis-je avec un long soupir en me mordant la lèvre inférieure à l'endroit ou savait être mon labret.
On m'avait enlevé tous mes piercings à l'hôpital et je n'avais jamais encore pris le temps de les remettre. De toute façon, avec ma mine actuelle, ils ne pourraient que me rendre ridicule. Cependant, je n'avais pas pu me défaire de l'habitude de tirer sur ma lèvre comme si l'anneau était encore là.
Marcos cligna plusieurs fois des yeux, comme s'il n'arrivait pas à croire ce que je venais d'avancer. Oui, j'étais effectivement capable d'assumer une relation avec un homme désormais.

Rock Hard, Love HarderOù les histoires vivent. Découvrez maintenant