⭐54- Imprévus 2

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Sara boudait, car elle serait obligée de se coltiner l'une de mes grosses bottes, jusqu'à ce qu'on arrive à Genève.
— Je te rappelle que c'est toi qui as foutu toutes mes chaussures, râla-t-elle après que je sois parti d'un énième fou rire en la regardant se démener dans la neige.
Notre avion décollerait dans à peu près quatre heures ; ça lui laisserait donc largement le temps de se procurer une nouvelle paire de bottines dans la capitale suisse, avant qu'on embarque pour L.A..
Oui, c'était moi qui avais fichu toutes ses chaussures. Et j'avais en plus refusé d'aller lui en acheter d'autres, juste pour la punir. D'ailleurs, ce fut dans l'optique de lui rappeler la cause de son malheur que je rétorquai avec un sourire goguenard :
— Oui, mais ce n'est pas comme si tu ne l'avais pas cherché.
— Tu as bien conscience que ça ne fait que me provoquer ? me prévint-elle avec un haussement de sourcil.
— Mais j'adore quand tu sors les griffes, éludai-je dans un murmure, en l'attirant contre moi. D'ailleurs, tes griffures dans mon dos m'élancent en ce moment même, et ça... m'excite.
Elle se mordit tout de suite la lèvre inférieure d'un air embarrassé, avant de m'asséner une petite tape, comme pour m'intimer de faire silence. Je savais bien que la raison de sa soudaine timidité n'était pas mon commentaire, mais plutôt la proximité de l'homme costaud qui chargeait nos bagages dans le van.
Ça ne la dérangeait jamais de parler ou de faire des trucs cochons avec moi, mais dès qu'il y avait quelqu'un d'autre dans les parages, elle se renfermait complètement, et Sara l'innocente reprenait le contrôle.
Je ne savais pas pourquoi, mais j'éprouvai immédiatement le besoin de montrer aux deux hommes, surtout à celui qui la lorgnait depuis tout à l'heure, qu'elle était loin d'être une bonne sœur. Et ceci, parce que je m'en étais chargé personnellement.
À mon avis, on ne faisait pas aux bonnes sœurs les trucs que je lui faisais. Enfin, je crois...
— Tu sais que te voir porter mes bottes me donne une idée ? lançai-je assez fort pour être entendu par tout le monde.
— Quoi ? s'informa-t-elle avec circonspection.
— J'ai envie de les voir de part et d'autre de mes hanches lorsque je te prendrai sur le plan de travail, quand on rentrera à la maison.
Les petits flocons qui s'étaient déposés sur ses joues n'empêchèrent pas à celles-ci d'adopter une teinte rouge coquelicot qui ne manqua pas de me faire éclater de rire.
Le chauffeur et l'armoire à glace quant à eux, n'avaient visiblement pas raté ma phrase. Ils s'étaient immobilisé une microseconde, le temps d'enregistrer l'information, ensuite ils s'étaient engouffrés à l'intérieur du chalet chercher le reste de nos bagages comme s'ils avaient la mort aux trousses.
— À quoi tu joues ? chuchota Sara, comme si on était sur écoute.
— À rien ! affirmai-je avec un haussement d'épaules amusé. J'ai pas le droit de faire connaître au monde entier comme j'ai envie de ma femme ?
— Le faire connaître uniquement à la femme en question aurait suffi, me gronda-t-elle en m'assenant un minuscule coup de poing au pec.
— Aïe ! raillai-je avant de prendre son visage en coupe et de susurrer : Et si je lui faisais savoir, accepterait-elle de me suivre à l'intérieur une dernière fois, afin qu'on règle ça vite fait ?
— On a un vol dans quatre heures, Rick le lubrique. De plus... L'idée du plan de travail ne me déplaisait pas du tout, ajouta-t-elle plus bas avec une petite expression mutine.
Elle s'en alla ensuite rejoindre le van et illumina mon visage d'un sourire en s'arrêtant pour me faire un clin d'œil avant de reprendre sa route en balançant des hanches comme un top-modèle. Je l'aimais tellement quand elle faisait ce genre de choses.
Cependant, à mi-chemin vers la voiture, elle trébucha à cause de mes grosses chaussures et je ne pus réprimer un éclat de rire, qui bien sûr, la fit rager.
— C'est de ta faute, gronda-t-elle.
— Peut-être, m'amusai-je.
Elle leva les yeux au ciel et continua sa progression, sans se déhancher cette fois.
J'avais fait exprès de lui donner les plus lourdes de mes bottes, car je trouvais trop drôle le contraste avec ses jambes fines. Elle m'avait supplié de lui laisser celles un peu plus légères que je portais, mais j'avais obstinément refusé et elle avait promis de me le faire payer.
Je fus le dernier à rejoindre le van, car j'avais eu un peu de mal à tourner le dos au chalet. Cet endroit allait beaucoup me manquer. J'y avais pour la première fois fait la connaissance du bonheur, du vrai.
La personne qui était descendue du vol L.A. - Genève quelques jours plus tôt, n'était plus la même à y embarquer. Cette tête brune, appuyée sur mon épaule, m'avait appris à aimer, à laisser venir ce qui vient et savourer le moment présent. Or mon présent à ce moment-là, c'était elle, avec son corps chaud endormi contre moi. Alors pour bien en profiter, je la serrai encore plus dans mes bras, déposai ma tête contre la sienne et m'endormis à mon tour.
☆☆☆
Un mot plastifié de la part de Maryse, bien mis en évidence sur ma porte d'entrée, m'invitait à me rendre au bureau de Turner dès que je verrais le message.
— Tu vas y aller ? s'enquit Sara, l'air soucieux.
— Oui, soupirai-je. Plus tôt, j'en finirai, mieux ce sera.
— Tu pourras y aller demain. On est fatigués... Tu es fatigué.
— J'irai aujourd'hui, m'obstinai-je.
Elle acquiesça à contrecœur et on entra dans la maison. Je récupérai mon téléphone qui était dans l'un des tiroirs de ma chambre et dus attendre au moins dix minutes avant de pouvoir l'utiliser à cause des notifications qui montaient par rafale.
J'appelai Grant qui promit d'être là dans une demi-heure et descendis me rafraîchir dans la cuisine, car je mourais de soif. À ma grande surprise, j'y trouvai Nan qui admit être présente tous les jours, en prévision de celui où on rentrerait.
Qu'est-ce que j'aimais cette bonne femme ! Elle pouvait vraiment compter sur une augmentation le mois prochain, surtout après le délicieux poulet au citron avec la purée de patates douces que je trouvai sur la table, après ma douche.
Sara dormait dans sa chambre lorsque j'entrai lui dire au revoir. Cependant, elle m'étonna encore une fois en marmottant un « moi aussi » somnolent après que je lui aie soufflé que je l'aimais.
Je refermai la porte avec un petit sourire et descendis rejoindre Grant qui m'attendait devant sa berline dans la cour. À cause des neuf heures de décalage horaire entre Genève et Los Angeles, il était donc à peine quatorze heures dans la deuxième plus grande ville des États-Unis. Le soleil était haut dans le ciel et ça faisait du bien de sentir ses rayons chauds sur ma peau après tous ces jours à porter des vêtements d'hiver.
D'ailleurs, pour bien profiter du climat californien, j'avais laissé mes bras à l'air libre dans un tee-shirt noir sans manche « Câlin à partir de 5 millions ». Non pas que j'attendais que Turner me signe un chèque de cette valeur pour que je le prenne dans mes bras, mais c'était le premier tee-shirt à m'avoir fait rire ce jour-là dans mon dressing. Or rigoler, j'en avais besoin, car je savais d'avance que je n'en aurais pas l'occasion ces prochaines heures.
De toute façon, l'expression du producteur en était la parfaite preuve, lorsque j'entrai sans frapper dans son bureau avec vue sur les gratte-ciels du centre-ville, au dix-huitième étage d'un immeuble à Bunker Hills.
— Quelle est la sentence ? Peine de mort ou peine de mort ? raillai-je en m'asseyant lourdement sur l'une des deux chaises qui faisaient face à son énorme fauteuil ergonomique.
Grant avait dû les prévenir de mon arrivée, car Maryse aussi était là. Appuyée contre le mur près de la verrière, les bras et les jambes croisés, et une expression parfaitement hermétique sur le visage. On aurait dit l'indifférence faite femme.
— Ah t'es, là ! L'équipe de requins est au grand complet, dis donc.
Personne ne me répondit.
— Allez, explosez. Je sais que vous en rêviez tous les deux.
Maryse fut la première à parler après avoir poussé un soupir excédé :
— Que veux-tu que je te dise ?
— Bien, puisque personne n'a rien à me confier... Au revoir ! fis-je mine de me lever.
— Assieds-toi ! tonna Turner.
— Oh, il parle ! ironisai-je.
Je me mis debout, juste parce qu'il m'avait intimé de m'asseoir. Ses poings serrés sur l'accoudoir de son fauteuil, témoignaient d'à quel point, il avait du mal à contenir son énervement. Et pour être honnête, je n'en avais rien à foutre.
— La date de sortie de l'album reste le même, pour ton info, sortit d'un ton sec l'homme d'affaires grisonnant, quelques secondes plus tard.
— Cool, vous avez un album qui sort dans trois semaines.
— Non, petit con ! TU as un album qui sort dans trois semaines, clama-t-il en se redressant sur sa chaise. Et TU as deux vidéos qui vont suivre. Je n'ai pas dépensé tout cet argent pour que tu foutes tout en l'air.
— Si c'est l'argent le problème, ça peut vite se régler, exposai-je calmement. Dis-moi combien et je te rembourse. Ensuite, j'abandonne pour de bon.
— Rick, tenta d'intervenir Maryse d'une voix qu'elle voulait maternelle.
— J'en ai marre ! coupai-je avec une maîtrise qui me surprit moi-même. Je ne chante plus parce que j'en ai envie. Ce n'est pas la musique que j'ai rêvé de faire. Et avant que tous les deux, vous ne me sortiez que je ne mérite même pas d'être là, que sans vous, je ne serais rien ; laissez-moi vous rappeler comment j'ai travaillé d'arrache-pied ces dernières années. Je crois que j'ai assez payé ma dette comme ça. Et encore, je suis prêt à rembourser l'argent que tu as dépensé pour cet album, mais c'est fini. Mon contrat se termine ici.
Un lourd silence suivit ma tirade, avant que le producteur pouffe et parte d'un grand fou rire en déposant une main sur son sur-mesure, au niveau de son abdomen. Il s'interrompit ensuite aussi promptement qu'il avait commencé, et se mit debout en déposant ses paumes sur son bureau. Puis finalement, il vissa ses yeux de fouine dans les miens et s'exprima d'un ton glacial :
— Tu vas terminer l'album et effectuer la tournée qui va avec.
— J'aimerais me voir le faire, rétorquai-je du tac au tac.
S'il pensait m'impressionner, il se fourrait le doigt dans l'œil jusqu'au coude.
— Bien ! fit-il avec un sourire vide en se redressant. J'ai remarqué que pas mal de tes fans ne portent pas ta petite femme dans leurs cœurs, énonça-t-il avec un rictus sardonique.
Je me braquai tout de suite, car je savais que la suite ne pouvait en aucun cas me plaire. Que venait chercher Sara dans cette conversation ?
Sous mon regard vigilant et attentif, il attrapa une feuille dans un tiroir et le posa sur son bureau avant de s'exclamer :
— Un transfert de cinq cent mille dollars, deux mois avant votre mariage ! J'avoue que ça a l'air plus que suspect. C'est une pute, c'est ça ? ricana-t-il d'un air mauvais. Tu peux avoir qui tu veux et tu paies une pute pour t'épouser ? Mais bon, c'est la jeunesse. Je me demande seulement comment tes fans, eux prendront la nouvelle ? Et la quantité de haine qu'elle risque...
Il n'avait pas terminé de parler que j'étais déjà derrière son bureau, l'attrapant par le colbac afin qu'il n'ait que mon nez frémissant de rage et mes yeux qui lançaient des éclairs dans son champ de vision.
— Tu.la.laisses.en.dehors.de.ça. ou je te promets que tu vas le regretter toute ta misérable vie.
— Qui ? rétorqua-t-il, nullement impressionné. Ta pute ? Tu l'aimes ? Tu serais prêt à tout pour qu'on la laisse tranquille ? Utilise cette rage et termine-moi ce putain d'album ! Le public a soif de ce Rick en colère. T'as une flamme en toi, une flamme rare. T'es né pour embraser des foules, ne gaspille pas ce talent, pour je ne sais quelle folie !
À mesure qu'il déblatérait, grandissait en moi ce désir de déposer mes mains sur son cou et serrer, serrer jusqu'à ce qu'il se taise à jamais. Je trouvai néanmoins la force de chasser cette pensée et de le bousculer de préférence, sans pour autant parvenir à retenir les larmes de rage qui dévalèrent sur mes joues. J'avais perdu ; il avait gagné, encore... Et il le savait, à la façon dont il lissa son costume hors de prix avec nonchalance en m'adressant un regard triomphant.
Depuis le début de ma carrière, on m'accusait de devoir mon succès fortuit et subit à un pacte avec le diable. Je n'avais jamais pris la peine de nier, car je trouvais ça totalement stupide. Mais là, je me demandais si finalement ces gens n'avaient pas raison. Peut-être que le diable, c'était Turner. Et au fond de la pièce, avec un chignon serré et un tailleur gris anthracite, l'un de ces lieutenants.
— Je ne lui ai rien donné, Rick, se défendit Maryse avec un regard implorant lorsque mes yeux flamboyants croisèrent les siens.
Comme si j'allais la croire !
— Se défiler de ses engagements n'est pas un comportement d'homme, Rick, s'éleva la voix de Turner derrière moi. Pour quelqu'un qui prétend avoir grandi, ce n'est pas une attitude très flatteuse.
J'avais envie de foncer sur lui et de démonter son visage à coup de poing. Puis sourire lorsque je verrais son sang sur les huit bagues à mes doigts. Mais l'une de ces bagues, justement, me liait à Sara. Et elle n'avait pas à vivre ce que Turner projetait pour elle, parce que j'aurais merdé.
— Je vais le faire, prononçai-je avec difficulté. Mais c'est le dernier. Et j'exige que la tournée ne dure pas plus de trois mois.
— Voilà, c'était simple ! applaudit l'homme d'affaires. On veut tous la même chose, après tout : ton succès !
— Tu veux l'argent que je rapporte, rectifiai-je d'un ton cassant.
— Mais pour le dernier point, on en discutera quand tu te seras calmé, poursuivit-il de bonne humeur comme si je n'avais pas parlé.
— Rick, souffla Maryse en s'avançant vers moi. Je sais que tu as du mal à supporter le stress des tournées. Je me soucie vraiment de toi. J'ai trouvé une solution pour que tu n'aies plus à te droguer. On sera accompagné d'une professionnelle, elle pourra t'aider. On ne voudrait pas que la même chose que la dernière fois t'arrive.
J'étais vidé, abattu... Je me laissai tomber dans le fauteuil même de Turner avec un soupir vaincu. Retour à la case départ ! On allait tout décider pour moi, et j'allais accepter comme un gentil petit chiot. Tous mes projets de liberté ? Envolés. J'étais de nouveau lié à Starecord.
Comment allais-je pouvoir expliquer à Sara que je n'avais pas pu en finir ? Que j'avais échoué ? Je ne pourrais pas lui avouer que c'était pour elle ; que je ne supporterais pas d'autres commentaires méchants et des regards haineux sur sa personne. Elle ne l'accepterait pas.
Peut-être croirait-elle que j'étais un lâche et qu'elle me quitterait. Peut-être réaliserait-elle finalement que je ne la méritais pas.
Avec un début de migraine, je m'accoudai et déposai mon visage dans ma paume. Maryse parlait, mais ses mots me parvenaient comme à travers un voile.
— Le docteur Lesly est trop occupée pour t'accompagner. Mais elle nous a suggéré l'une de ses collègues. C'est celle qu'il te faut d'après elle. Dès que Grant nous a prévenu que t'allais venir, je l'ai appelée. Elle est là. Tu acceptes de la voir ?
Je ne répondis pas, car ce n'était pas vraiment une question. D'ailleurs, elle sortit sans même attendre mon assentiment et après quelques minutes, une autre paire de talons accompagna la sienne.
Une silhouette avec une veste en cuir apparut dans mon champ de vision. Cependant, je ne pris pas la peine de lever la tête, et ce même lorsqu'elle débuta d'une voix légère et assurée :
— Bonjour. Je suis le docteur Brigantti et je serai heureuse de travailler avec vous.
Tout le monde semblait attendre ma réaction. D'un geste dépité, je me redressai et m'adressai à la nouvelle venue :
— Je m'en fous de qui vous êtes ou de vos états d'âme, Brig...
Je ne pus terminer ma phrase, car je m'étais figé devant ces yeux d'un bleu aussi clairs que la banquise, ces cheveux noirs réunis en une queue de cheval fournie et ce visage aux traits parfaitement dessinés qui me rappelait trop ceux de quelqu'un. Ça ne pouvait pas être juste une coïncidence.
— Vous saviez ? soufflai-je en dévisageant tour à tour Turner et Maryse d'un air incrédule.
Ils plissèrent tous les deux leurs fronts, comme s'ils ne voyaient pas où je voulais en venir. Par contre dans ces iris qui ressemblaient tellement aux miens, je pouvais lire qu'elle, elle savait.
Il restait à savoir pourquoi elle s'était débrouillée pour parvenir jusqu'à moi. Parce que je doute que ce soit juste pour dire coucou à son petit frère...

Rock Hard, Love HarderOù les histoires vivent. Découvrez maintenant