1 - Le couvent des oiseaux

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Lundi 10 septembre 1855

84 rue de Sèvres à Paris


Des rires de jeunes filles fusent dans les recoins d'un long jardin ensoleillé. Dans le parc enserré de hauts murs, des robes blanches apparaissent et disparaissent au milieu des buissons, des massifs floraux et des labyrinthes de parterres. La journée est belle, les après-midis de septembre sont encore chaleureux. Quelques roses, encore toutes rouges de l'été, exhalent leurs derniers parfums avant l'hiver.

Une partie de cache-cache est en cours dans le jardin du couvent.

Toutes ces demoiselles qui se récréent ont passé les beaux-jours en province, dans des maisons de campagne qui sont des fiertés familiales, des trésors de patrimoine et des écrins d'histoire. L'une ou l'autre est allée à l'étranger ; Italie, Grèce, Angleterre, Maroc pour les plus aventureuses. L'Amérique est encore trop loin en bateau. Et depuis quelques jours, elles sont revenues là, dans ce lieu clos destiné à la prière et à l'instruction, pour reprendre leur formation de jeunes filles de bonnes familles. Lettres, langues, arithmétique, musique, travaux d'aiguilles, dessin, danse, et maintien sont enseignés par les religieuses aux demoiselles bien nées de la société, comme aux plus pauvres. 

« 45, 46, 47, ... » Une jolie brune, les cheveux retenus par des rubans verts, le visage caché dans les mains, fait face au tronc d'un grand pin parasol. Sa voix compte avec clarté, allant chercher les oreilles les mieux cachées dans les buissons et les haies du parc. « 62, 63, 64, 65 ! J'arrive ! »

Elle ouvre les yeux, regarde autour d'elle pour habituer de nouveau sa vue à son environnement végétal, puis elle s'égare dans les allées. Sa gracieuse robe de mousseline blanche ondule à chacun de ses pas prudents et furtifs, sous l'effet de balancier de la crinoline. De droite et de gauche, autour d'elle, des gloussements amusés jaillissent sans jamais vraiment révéler la cachette de leurs auteures. 

Et soudain, des éclats de voix retentissent : « Trouvées ! » Une course poursuite s'engage. Des galopades se prolongent sous les chênes. Bientôt, le jeu s'achève, mais on ne les a pas encore appelées à rentrer dans les classes. Alors les demoiselles s'égayent en petits groupes d'amitiés.

Cinq d'entre elles s'éloignent un peu des autres en bavardant pour s'asseoir dans un cercle d'herbe. « J'ai passé l'été dans les Alpes, c'était magnifique, vraiment ! J'ai pu réaliser de jolies peintures, affirme une petite blonde au nez retroussé en arrangeant ses jupes autour d'elle. J'ai apporté la plus réussie, je vous la montrerai. Et toi, Louise, où es-tu allée ?

— Je suis restée à Rosebrune pendant toutes les vacances avec Virginie et sa sœur. Mon père est revenu exceptionnellement de New-York, je ne voulais pas le quitter. »

Louise de Rosebrune, la jeune fille qui comptait près du pin un peu plus tôt, habite dans la région angevine : autour d'elle, les regards se font intéressés et des bustes se penchent, les langues se délient, les questions fusent, entremêlées sur différents sujets, en fonctions des curiosités de chacune :

— Les Vertfleur sont encore allées chez toi ? Tu en as de la chance ! 

— Et ton père, il t'a rapporté des cadeaux d'Amérique ?

— Comment vont-elles, les Vertfleurs ? Il paraît que la sœur de Virginie va se marier, est-ce vrai ?

— Il n'a pas le mal de mer ? la traversée est bien longue depuis la côte Est du nouveau monde !

Amours & cupiditésWhere stories live. Discover now