– C'est toi qui commandes, souffle-t-il enfin. Je m'occupe de tout.

– Merci, Jorge. Je te dois une fière chandelle.

– À ce stade, ce n'est plus une chandelle, c'est un lustre, marmonne-t-il.

Pourtant je perçois un sourire dans sa voix.
On raccroche, et je cherche mon enregistrement le plus récent d'« Anchors ». Elle feraun parfait single. La mélodie est joyeuse mais ne ressemble à rien de ce que j'ai fait jusqu'à présent. Je l'envoie par mail à Jorge puis rentre dans la maison. Je me sens déjà mille fois mieux.

En pénétrant dans la cuisine, j'y trouve Chiara et Carolina en train de faire du café et d'ajouter de grosses cuillerées de yaourt à leur bol de céréales.

– Salut, les filles !

J'ouvre le frigo et me sers un verre du jus d'orange frais que Caro a rapporté du
marché hier matin.

– C'est quoi, son problème ? grommelle cette dernière en se tournant vers Chiara.

Elle a les paupières encore lourdes et gonflées de sommeil.

– Justement ! Je n'ai pas de problème ! dis-je en riant. Au contraire, j'ai d'excellentes nouvelles.

– Tu as trouvé un endroit qui vende du vrai café sur cette île ? ronchonne Chiara en vidant le dernier sachet qu'elle a apporté avec elle.

– J'étais au téléphone avec Jorge. On va enregistrer mes nouvelles chansons ici !

Chiara regarde autour d'elle.

– Où ça ?

– Sur l'île, dis-je. Comme ça, je ne suis pas obligée de partir. Jorge va s'arranger pour faire venir tout l'équipement dont on aura besoin. Ils ne devraient rester que quelques jours, mais...

– Et ils vont loger où ? intervient Carolina. Dans cette maison ?

Je me tourne vers elle.

– Ben oui. Ça ne pose pas de problème. Si ?
Je vois passer sur son visage une série d'expressions que je ne déchiffre pas bien.

– Ils peuvent aller au B&B, sinon, dis-je à la hâte. C'est toi qui décides. Je pensais que ça vous ferait plaisir qu'on puisse rester ici au lieu de devoir rentrer à New York.

– Bien sûr que ça nous fait plaisir, déclare Chiary en souriant à Carolina.

Cette dernière se détend peu à peu.
– Oui, bien sûr. Ça va être super.

– Génial ! dis-je. On devrait pouvoir enregistrer sur la véranda. Ça va demander un peu de préparation pour isoler tout ça, mais...

– On s'en charge ! lance Chiara en avalant sa dernière bouchée de céréales.

Le téléphone de Carolina vibre sur la table. Elle l'attrape, et en la voyant froncer les sourcils, je devine que c'est Jorge. La machine est en marche. On se remet au travail.

Jorge arrive par le premier bateau du jeudi. Michael et K2 m'emmènent au port pour que je puisse l'accueillir, et ça me rappelle le jour des visites au camp de vacances. Je guettais la voiture de mes parents avec un mélange d'excitation et d'appréhension à l'idée de voir deux de mes univers se croiser.

Le bateau s'approche doucement du quai, et j'aperçois Jorge sur le pont, prêt àdébarquer. Il porte un jean sombre, une chemise en lin blanc et une sacoche en cuir surl'épaule. Même de là où je suis, je remarque que ses cheveux, d'ordinaire soigneusementébouriffés à l'aide d'un peu de gel, auraient besoin d'une bonne coupe et qu'il a des groscernes sous les yeux.

– Tu n'aurais pas pu aller te cacher dans les Hamptons ? bougonne-t-il en traversant
le parking d'un pas vif.

Je le serre dans mes bras. Depuis que je suis arrivée, j'ai passé tellement de temps àesquiver ses coups de fil et ses questions que j'en ai presque oublié à quel point il memanquait. Jorge est le pire râleur que je connaisse, mais il a toujours eu foi en moi.Depuis notre première rencontre à une soirée Open Mic à Madison jusqu'auxinterminables séances de dédicaces avec les fans dans une ville différente chaque soir, ilm'a accompagnée et épaulée à chaque étape de ma carrière. Après mes parents, c'est lapersonne au monde en qui j'ai le plus confiance. Alors, même si ça me fait tout drôle deme remettre aussi brusquement au travail, je suis contente qu'il soit ici.
Il serre la main de Michael et de K2 puis s'installe à côté de moi sur la banquette arrière.Je lui tends le café qu'on lui a pris en passant. J'ai un peu l'impression d'être une marieusequi assisterait à la première rencontre entre Jorge et l'île. Je baisse ma vitre et prends unelongue inspiration tout en essayant de voir le village et la côte escarpée d'un regardnouveau.

– Tu vas te plaire ici, j'en suis sûre, dis-je en lui souriant tandis que la voiturecontourne un nid-de-poule.

– Valentina tu peux aller vivre sous le pont de Brooklyn si ça te fait plaisir, déclare-t-il enessuyant une goutte de café tombée sur son jean. Si ça te permet de composer deschansons comme « Anchors » et les autres nouvelles, je m'en fiche.

– C'est vrai ?

C'est toujours stressant d'entendre un avis extérieur, surtout celui de Jorge. Chaquefois que je commence à écrire de nouveaux morceaux, il se passe quelque chose demystérieux. Si je ne trouve pas immédiatement la bonne formule – la bonne tonalité, lesbons enchaînements –, j'ai toujours peur de ne pas pouvoir revenir à la source de mon
inspiration pour repartir de zéro.
Jorge hoche la tête.

– Oui, c'est vrai, souffle-t-il en se frottant le visage. Je dois quand même t'avouer quetu nous as fait une belle frayeur. À un moment, j'ai cru que tu allais nous faire un coup à la Britney Spears.

Je lui donne une petite tape sur l'épaule en riant.
– Menteur !

Il me prend la main et la serre doucement.

– Bon, d'accord. J'exagère. Il n'empêche que je n'aurais pas non plus cru que tu sois capable de composer ces petites merveilles.

J'écarquille les yeux.

– « Petites merveilles » ? Carrément ?

J'éprouve toujours un petit frisson quand j'entends quelqu'un parler de ma musique
comme si elle ne m'appartenait pas qu'à moi. Quand je compose, je mets tellement
d'énergie dans mes chansons que j'en oublie parfois que d'autres que moi vont les écouter.

– On est arrivés, dis-je quand Michael se gare devant la maison dans un nuage de
poussière.

Jorge se penche sur moi pour regarder par la vitre ouverte.

– C'est là que tu vis depuis plus d'un mois ? demande-t-il, incrédule.

Je descends de voiture et monte les marches du perron en sautillant.

– Oui ! C'est génial, non ?

– C'est... charmant, bredouille Jorge avant de me suivre à l'intérieur.
Chiara est en train de préparer des gaufres à la cuisine. Quant à Carolina, elle est vautrée sur le canapé, son téléphone à l'oreille. Dès qu'elles nous voient entrer, elles se précipitentpour accueillir Jorge.

– Salut, toi !
couine Chiara en lui sautant au cou.
Caro le débarrasse de sa sacoche.

– Pitié ! Dis-moi que tu nous as apporté du ravitaillement.

Jorge s'avance vers l'évier de la cuisine et, d'un geste théâtral, vide le contenu du
gobelet que je lui ai donné dans la voiture.

– N'ayez crainte, Mesdemoiselles, déclare-t-il en sortant un énorme sachet du café
qu'il se fait livrer à son bureau chaque semaine. Jorge est là pour vous servir.

Sing! [ADAPTATION] - TERMINÉE Where stories live. Discover now