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Ana

Un an plus tard

« Il suffit parfois d'un déclic. Bien souvent, il n'apparaît pas tout de suite après un traumatisme. Il faut du temps. Beaucoup de temps. Place un sablier sur ta table de chevet et retourne-le, encore et encore, puis contemple les petits grains tomber. En réalité, il suffit d'attendre le jour propice. Tu sais, on fait l'erreur trop souvent... de se sentir impuissant. Ce sentiment m'était familier. Il s'enlaçait autour de mes os et s'imprégnait de mon sang comme s'il y était autorisé. Un poison qui s'infiltrait dans mon organisme. J'étais ce poison, cette chose à éviter et à fuir au plus vite. La peste a écarté, la famine a éradiqué. Ah, l'encre de mon stylo vient de baver sur tes pages. Le noir les as surplombés et j'en suis navrée. Navrée d'avoir versé autant de larmes dans les plis de ton carnet. Navrée d'avoir cédé au désespoir. Navrée d'avoir arraché certaines pages dans l'unique but de me consoler. Je suis sincèrement désolée que ma plume ait inondé le vide que tu représentais. Et puis désolée d'écrire tout ça, tout ce qui me passe par la tête. Noir n'est pas la couleur de tes feuilles, le noir contraste avec ta belle couleur blanche. Comme le yin et le yang. Comme les touches d'un piano, comblées de blancs et de noirs pour apporter plus de saveur. Peut-être est-il enfin temps de tourner une nouvelle page. J'arrive au bout de celle-ci et ma plume commence à manquer d'encre. Je manipule mon stylo plus fort, mais les lettres deviennent plus claires, moins visibles. Enfin, merci de m'avoir épaulé, merci d'avoir su m'écouter. »

— Dépêche ! Tu vas être en retard !

Je me presse pour appliquer mon mascara, puis je me place devant le miroir de la salle de bains, les mains sur mon ventre. Instinctivement, mes doigts tracent des cercles sur l'emplacement de ma cicatrice. Je soupire longuement.

— J'arrive !

J'ouvre la porte et découvre Thaïs, les bras croisés, le pied tapant furieusement le sol. Apparemment, il y a certaines choses qui ne changeront jamais.

— Comment tu me trouves ? lui demandé-je, un brin nerveuse.

J'ai opté pour une touche classique, soit une robe noire et des escarpins. Son visage s'illumine à mesure qu'elle détaille ma tenue.

— Tu es sublime, Ana. Maintenant, respire un bon coup, tu as attendu ce jour depuis si longtemps ! s'exclame-t-elle en me prenant dans ses bras.

Pour tout vous avouer, à trop ressasser ma composition, je n'ai pas fermé l'oeil de la nuit.

— C'est l'heure d'y aller. Thylan nous attend dans la voiture.

Je décroche mon sac du porte-manteau et jette un coup d'oeil circulaire sur l'ensemble de la pièce, les sourcils haussés. Thaïs sourit.

— Il a déjà mis le violoncelle dans la voiture, me rassure-t-elle. On sera au premier rang.

Je n'ai jamais été autant stressée de toute ma vie. Aujourd'hui est le jour où je vais jouer devant des centaines de personnes, en solo, afin de rendre hommage à Cassie. Uniquement moi et mon instrument. Une scène rien qu'à mon honneur. J'ai tellement travaillé pour en arriver là... c'est un honneur. J'inspire profondément et suis ma meilleure amie jusqu'à la voiture, où son copain s'y trouve déjà, les deux mains au volant. Ces deux-là se sont bien trouvés, Thaïs n'a jamais eu de relation aussi longue. Il suffit de voir Thylan pour comprendre qu'il est parfait pour elle. C'est le seul qui parvient à la raisonner et à la cadrer quand elle dérape.

— Montez, dit-il en déverrouillant les portières.

Je me place à l'arrière, les paumes à présent moites.

Le prix à payerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant