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Ana

« Il y a des musiques qui ont le pouvoir de vous toucher. Ceux qui ont le pouvoir de me faire pleurer. Je me crispe dès que j'entends ce son qui me fait frémir, sans jamais savoir qui joue un tel morceau. Alors, comme à mon habitude, je passe mon chemin et prie pour qu'elle me parvienne de nouveau. C'est de cette manière qu'une note si précieuse me fait frissonner.

Cassie avait la musique dans la peau. Elle jouait du violoncelle comme une âme déchaînée. Pas un jour n'est passé sans que je me pose dans ce fameux coin de la maison, assise contre le mur, mes yeux dévorant cet instant. Mes oreilles absorbaient la moindre note, toutes plus belles les unes que les autres. Ma bouche s'ouvrait et se fermait pour ne pas oublier de respirer. La puissance de l'instrument me faisait omettre, parfois, de reprendre mon souffle. Je ne m'en lassais jamais. Relaxant étaient ces mélodies. L'archet était le prolongement de son bras. Ses doux doigts effleuraient ces cordes sensibles. Sa tête penchée, j'étudiais chacun de ses mouvements, chacune de ses respirations maîtrisées. Seule avec Cassie et son violoncelle. Élégante, elle déplaçait ses bras avec fluidité. Elle fixait sans arrêt ses doigts et parfois, seulement parfois, elle fermait ses beaux yeux gris. Alors, je faisais de même, me laissant embarquer par sa performance. Elle a toujours été plus forte que moi. Certes, je suis douée pour la harpe, mais mon corps ne quémande plus que le violoncelle. Aujourd'hui, j'ai tellement peur d'oublier cette même mélodie. Elle seule connaît la recette par coeur. Depuis qu'elle est partie, j'ai si peur d'oublier ! Do, Ré, Mi, aide-moi à les retenir ! Je les ai notés dans tes pages, l'autre fois, mais depuis qu'elle n'est plus là, je n'arrive plus à rejouer.

C'est l'heure d'y remédier.

Au moment où je te parle, il est là, devant moi, tapi dans l'ombre. Majestueux, il me met au défi de m'approcher. J'examine sa beauté en tentant de découvrir ce que Cassie a bien pu lui trouver. La réponse est sous mon nez. Fabuleux, il faut le toucher pour comprendre. La magie s'opère lorsque l'on ferme les paupières. Tu sais, elle m'a tout appris sur cet instrument. La façon dont déplacer ses mains, la manière de ne pas écorcher ces sons qui me font tant divaguer.

Je m'assois sur une chaise tout en le serrant contre moi. Mes poils se hérissent au frôlement, le bout de mes doigts brûle d'impatience. Est-il possible d'avoir le trac en étant seule ? Si l'on en croit la définition, le trac est un sentiment d'appréhension irraisonné avant d'affronter un public. Mon public, c'est toi, Cassie. J'ai le trac de devoir jouer sans toi. Je n'ai jamais fait ça. Maintenant tu es là-haut et ce n'est plus pareil, je ne peux te voir de mes propres yeux. Je suppose que je dois essayer de te matérialiser en imaginant les traits de ton si joli visage ovale. Et si un jour je n'y parviens plus ? Si un jour tu deviens vague dans mon esprit ? Plus aussi clair qu'aujourd'hui ?

Les mains prêtent à commencer, mon ventre se noue sous l'effet oppressant qu'est le stress. J'incline ma tête et libère une note. Une seule. Exquise, la première est celle qui te donne envie de poursuivre, semblable à l'amuse-bouche de l'apéro. Mes doigts me guident. Ils savent automatiquement où se placer, à quel moment bouger. Je souris bêtement à la moindre mélopée. C'est si puissant ! Mon coeur vibre. Prenant, mes sens s'agitent et je finis par me confondre avec lui.

J'ai réussi, Cassie. »


— Tu es sûre de ne pas vouloir de mon aide ?

Dans la cuisine, Thaïs est en train de préparer à manger. À en juger par son cri, elle vient de se brûler. Je m'accoude au bar en examinant ses talents de cuisinière.

— Certainement pas ! Il te suffirait de deux minutes pour faire cramer l'appart'. Satanée casserole, peste-t-elle en suçant son pouce.

La voyant au bord de la crise de nerfs, je me lève du tabouret pour venir l'aider et ce, sans son consentement.

Le prix à payerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant