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Elies

Je n'aurais jamais imaginé qu'on puisse en arriver là. Ni que j'en suis l'unique responsable. Mes yeux vissés sur Ana, mes pensées divaguent sur nos souvenirs les plus beaux. Cependant, la voir inanimée et allongée sur ce brancard me rattrape et me ramène à la réalité. Les médecins ont beau me rassurer, je perçois quelquefois, dans leur regard, de la pitié mélangée à du désespoir. Et je n'en veux pas. Je sais que son état est critique et qu'elle a une chance sur deux de s'en tirer indemne.

Quitte ou double.

Nous arrivons à l'hôpital en moins de dix minutes. Ils ne perdent pas de temps et courent jusqu'à l'intérieur du bâtiment. Je les suis de près, mais l'un des médecins me retient par le coude et me barre le passage lorsqu'ils emmènent Ana vers un couloir.

— Vous devez vous arrêter ici, jeune homme. Votre amie va directement au bloc, alors patientez sagement dans la salle d'attente et nous vous informerons plus tard de son état.

— Laissez-moi passer, craché-je. J'ai besoin de la voir !

— Monsieur, non, vous ne pouvez pas !

Je regarde avec peine les portes se refermer sur elle ainsi que sur les deux médecins qui la prennent en charge. Devant cette image, je m'effondre à genoux au milieu de la salle, les yeux rivés sur le carrelage blanc. Vide.

Ana doit se battre.

Je ne lui laisse pas le choix.


Voilà maintenant plus d'une heure et demie que mes fesses sont scellées que le siège que j'occupe. Mes pieds tapent nerveusement le sol tandis que j'agrippe de mes mains le rebord de la chaise, et bascule d'avant en arrière en fredonnant. Les policiers sont venus m'interroger il y a trois quarts d'heures et je leur ai révélé l'entière vérité. Sans omettre aucun détail. Sans mensonge. Ils m'ont informé que Karl, le drogué, était dans une des chambres de cet hôpital et qu'il devrait sortir dans moins de cinq jours. À ce qu'il paraît, des menottes le retiennent au lit. Un sourire s'est dessiné au coin de mes lèvres quand j'ai appris qu'il allait se rendre en prison pour détenir une arme à feu sans avis de propriété, pour avoir tiré sur une innocente et pour consommer des stupéfiants et les revendre sur le marché noir. À mon plus grand dam, je n'ai pas autorisation à m'approcher de lui et je m'en mords les doigts.

— Elies ! s'écrient soudain deux voix que je connais trop bien.

Une pointe de peur synchronise leur voix. Je relève vivement la tête de mes genoux pour découvrir Jonathan et Thaïs, complètement affolés. Je me redresse en frottant mes mains sur mes cuisses. À peine ai-je fait un pas qu'un violent coup de poing atterrit dans ma mâchoire, me faisant basculer en arrière, sur mon siège. Par réflexe, je masse ma joue meurtrie.

— Salopard ! beugle le frère d'Ana avant que sa meilleure amie s'interpose entre nous pour le calmer.

— Ce n'est pas le moment de vous battre ! Vous ne pouvez pas arrêter de vous entre-tuer, au moins par respect pour elle ?!

Ça a l'effet de lui clouer le bec.

— Je suppose que je l'ai mérité, dis-je froidement en me mettant debout.

En les observant, j'en constate les dégâts. Tous deux sont livides. Thaïs a pleuré, j'en suis persuadé au vu de ses yeux injectés de sang et brillants. Et à en juger par le bas de pyjama qu'elle porte, ils sont partis en vitesse. Quant à son frère, je sais pertinemment qu'il essaye de ne pas s'effondrer. Son visage se ferme comme si Jonathan s'était bâti un mur en béton contre les émotions. À l'intérieur de lui, il est brisé. Exactement comme moi.

Le prix à payerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant