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Ana

« La répercussion des gouttes de pluie se fracassant sur la pierre tombale de ma soeur semble divertir la plupart de mes réflexions. Il paraît qu'elles sont semblables à nos larmes. J'ai lu dans un bouquin que ce n'était pas la réalité. Pourtant, aujourd'hui, le ciel pleure mon âme triste. Tout ce que je constate, c'est qu'elles aussi sont en chute libre. À l'arrivée, elles prennent différentes formes. Bien évidemment, certaines sont plus belles que d'autres. Moi, je crois faire partie de ces dernières, un peu à la ramasse. Mais tout s'arrangera, le temps à la réputation de guérir les plaies encore ouvertes. J'ai hâte. Hâte que la blessure de mon coeur cicatrise une bonne fois pour toutes. »

Je n'aime pas la pluie, mais pour aujourd'hui, bizarrement, j'apprécie ce déluge. Je n'aurais pas supporté qu'il y ait du soleil. Je l'aurais pris comme une sorte de trahison. Je souhaite simplement que le ciel pleure mon chagrin, et c'est le cas.

Ma main emboîtée dans celle de mon frère, nous ne prononçons pas un seul mot devant sa tombe. Je ne bouge pas d'un millimètre, même lorsque des frissons parcourent mes bras et que mes vêtements mouillés me rendent dans l'inconfort, ni même pour enlever les mèches de cheveux qui me collent au front. Je contemple uniquement le nom doré de ma défunte jumelle ainsi que les belles tulipes blanches déposées à côté. La signification de cette fleur est l'amour. J'espère que Cassie sait que je l'aime plus que tout au monde. On dit que les jumeaux ont une connexion spéciale. Un lien fort. J'ai senti ce lien se briser à mon réveil. Pourtant, là, il est en train de me déchirer les boyaux.

« Beaucoup n'aiment pas le silence. Ils le perçoivent comme quelque chose d'embarrassant. Je dois faire partie de ce faible pourcentage à aimer ça. Pas tout le temps, mais devant la tombe de ma soeur, il me paraît approprié. J'ai la sensation d'être dans ma bulle. »

Je mêle à la pluie mes larmes. Elles s'associent entre elles de manière naturelle, comme si elles n'attendaient que cela.

— Viens là, souffle Jonathan en ouvrant ses bras.

Je m'y réfugie sans plus attendre. Ma tête enfouie contre son torse, il caresse délicatement la naissance de mes cheveux avant de me déposer un baiser sur le front. Je laisse échapper des sanglots, parce que dans ses bras, la sécurité m'englobe. Mais le goût de la culpabilité irrite ma langue.

— C'est ma faute, avoué-je en resserrant mon emprise autour de sa taille. Cass... Cassie est morte à cause de moi.

La pluie répond à ma détresse. Jonathan prend mon visage entre ses mains pour me relever le menton. Mon mascara a dû couler, laissant des traits noirs s'étaler le long de mes joues.

— Ana, je t'interdis de penser ça, siffle-t-il. Ne te reproches pas une telle chose, tu m'as compris ?

Ses billes marron me fixent avec intensité, comme s'il avait peur de savoir que je me reproche le décès de Cassie. Je me déteste. Jonathan, tu n'imagines pas à quel point je me hais ! ai-je envie de hurler. Deux ans, c'est peut-être long, mais la culpabilité me ronge toujours autant. Elle est encore plus vivace qu'avant. Plus vivante que jamais.

« Je l'ai tuée. Je l'ai tuée. Je l'ai tuée. Je l'ai tuée. Je l'ai tuée. Je l'ai tuée. Je l'ai tuée. Pourquoi elle et pas moi ? Pourquoi elle et pas moi ? Pourquoi elle et pas moi ? Pourquoi elle et pas moi ?»

Je me contente d'emmitoufler mon nez au creux de son épaule. Je l'imagine serrer les dents devant tant d'absurdités de ma part. Comme lui dire que pour moi, la certitude a sa place ? Pourquoi est-ce que ça fait toujours aussi mal ? Pourquoi la douleur persiste ? J'admire mon frère pour son courage. Jamais il n'a montré une quelconque faiblesse devant moi, et pourtant je sais que cela a dû être difficile pour lui aussi.

Le prix à payerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant