La gêne m'envahit et je ne sais pas quoi dire. Je ne suis pas prête pour ça, pour ce type de déclaration, pour ce type de sentiments. Est-ce que je dois faire semblant de n'avoir rien vu ? Prétendre être flattée alors que les dernières phrases provoquent des picotements dans mes jambes, dans mes veines, dans ma chair ?

Je lève les yeux vers elle pour essayer de lui faire comprendre ce que j'ai lu, mais son comportement n'est pas en adéquation avec sa déclaration. Elle perd patience face à moi, réclamant de savoir si ses instructions sont claires. Je brandis alors le téléphone sous son nez pour qu'elle constate par elle-même. Les traits de Chloé se décomposent en moins d'un quart de seconde. Toute irritation disparaît de ses traits et c'est comme si son âme avait soudainement quitté son enveloppe.

– Charly...

– Chloé, je...

Nous commençons en même temps et elle se fige dans l'attente de quelque chose.

– Écoute, c'est, hum... Je suis désolée si je t'ai induite en erreur, mais...

– Non, non, ce n'est pas ça...

De nombreuses émotions traversent son visage mais je peine à en identifier une seule. Des éclats de colère, ou de douleur ? Ses yeux brillent comme si elle allait se mettre à pleurer, mais elle serre les mâchoires et tente de se reprendre. Elle sourit pour se donner une contenance avant de froncer les sourcils. Elle-même semble indécise, mais je lutte déjà avec mes propres émotions pour parvenir à lire correctement les siennes. Elle laisse alors échapper un rire qui sonne étrangement faux.

– Non, mais c'est faux en fait. J'ai écrit ça comme ça, pour voir ta réaction, mais je ne le pense pas.

Elle balaie l'air de la main pour accompagner ses paroles qui me heurtent de plein fouet. Je n'arrive pas à savoir ce que je ressens, mais c'est finalement la colère qui semble prendre le dessus. Parce que sous prétexte de passer le temps, elle s'est amusée en réveillant de vilaines blessures.

– Dis-moi que tu n'es pas ce genre de personne.

Mon ton se fait de plus en plus impérieux.

– Chloé, dis-moi que tu n'as pas huit ans d'âge mental et que ça ne t'éclate pas de jouer avec les sentiments des autres, croassé-je, parvenant à peine à me retenir de lui cracher toute la haine qui m'habite à cet instant précis.

Elle se met à bredouiller un semblant d'explication mais rien n'a de sens.

– Je croyais que tu étais au-dessus de ces conneries. Je commençais à avoir de l'estime pour toi ! À penser que tu étais quelqu'un de bien.

Elle tente de me couper la parole, mais j'ai l'impression que ma colère emplit la pièce entière et force ma supérieure hiérarchique à se ratatiner devant moi.

– Mais en fait, tu n'as fait que te foutre de ma gueule. Comme tout le monde ! Parce que c'est tellement drôle de se jouer de la vie de Charly, n'est-ce pas ?!

Chloé est livide. C'est la première fois qu'elle me voit véritablement sortir de mes gonds, moi, la personne habituellement calme et de bonne humeur ou qui déprime discrètement quand la vie la met à l'épreuve. C'est la première fois qu'elle prend conscience qu'une tornade d'émotions me traverse et risque de tout raser sur son passage si on ne s'éloigne pas suffisamment.

– Charly, s'il te plaît, tente-t-elle d'une voix douce, afin de calmer le jeu. J'ai fait ça sans vraiment réfléchir, je ne pensais pas à mal, c'était juste pour rigoler.

– J'en ai marre de ne pas être prise au sérieux, vois-tu !

La douleur accompagne progressivement ma colère et j'ai la sensation de ne plus parvenir à contrôler quoi que ce soit.

– J'en ai assez d'être la bonne poire sur laquelle on se fend la gueule, au détriment de ce que je peux ressentir. Comment oses-tu écrire des choses pareilles après ce qu'il s'est passé ? Après ce dont tu as été témoin ? Les mots ont un impact Chloé, bordel !

– Charly, s'il te plaît, tente-t-elle d'une voix tremblante, les larmes lui montant à nouveau aux yeux. Je n'ai jamais voulu dire ça, ce message n'était pas pour toi en réalité !

– Et pourtant c'est dit ! la coupé-je avec hargne. Et en plus tu sors une vieille excuse, mais ça ne colle pas Chloé, alors assume !

Ma référente a perdu toute contenance et semble prête à s'effondrer. Mais je ne peux pas m'occuper d'elle ou de sa prétendue douleur. J'ai déjà trop à faire avec la mienne, à cause d'elle. Et je sens toute la haine que je contiens m'envahir, ne sachant plus trop qui se trouve devant moi, de Chloé ou de mon père. Une voix lointaine dans mon esprit tente de me prévenir que je mélange tout, que je vais trop loin, que je devrais me taire et la laisser s'expliquer, mais je ne l'écoute pas. Elle ne parvient pas suffisamment en surface de ma conscience pour que je puisse la prendre en considération et je suis aveuglée par ma souffrance irraisonnée.

– En tout cas, c'était un joli numéro chez mon grand-père. Ton militantisme, tes grandes valeurs, tes cheveux miraculeusement blancs... Tu es une imposture, Chloé.

Un éclair de douleur semble traverser ses iris, mais il passe tellement rapidement que j'ai peut-être juste piqué son ego putride. Ses mâchoires se serrent et se desserrent, mais elle ne dit finalement rien. J'ai l'impression de faire face à un mur de béton armé qui recouvre un incendie.

Cependant, lorsque j'ouvre la bouche pour continuer à cracher mon venin, elle plante ses yeux dans les miens et m'aboie de me taire.

– Il n'y a que la vérité qui fâche, n'est-ce pas ?

– Disparais de ma vue ! vocifère-t-elle avant de contourner son bureau pour me pousser vers la sortie.

Je m'arrache de son toucher comme si ses mains pouvaient me salir de sa duplicité, et quitte la pièce sans un regard.

*******

Et bon matin !

J'suis bonne pour vous mettre de bonne humeur n'est-ce pas ? Vous aussi vous avez envie de claquer la porte comme Charly ?

Soyez au rendez-vous demain sans faute pour la suite !

Bonne journée

xx

Victoria

Hating, Craving, FallingWhere stories live. Discover now