Chapitre 15

Depuis le début
                                    

Nous discutons un instant de ce que je fais dans la vie. Je me contente surtout de répondre à ses questions, en me disant que je m'enquerrai de la sienne quand je me sentirai plus à l'aise et moins observée de tous les côtés. Lorsque Stéphanie vient nous interrompre pour demander un service à sa mère à propos du bébé, j'en profite pour aller saluer le reste de l'audience et leur présenter Chloé. Vu qu'elle sera amenée à leur parler dans la journée, autant l'introduire maintenant à tout le monde.

Je fais le tour de la famille, des membres plus ou moins proches, certains que je ne connais que de nom, mais qui semblent, eux, savoir qui je suis. J'imagine que ma dispute avec mon grand-père et les conflits entre mes parents, ma sœur et moi ont fait le tour de toute la lignée.

Alors que mon frère vient nous demander ce que l'on veut boire pour nous ramener un verre, je me retrouve seule avec une Chloé silencieuse. Elle ne me regarde pas, occupée à ausculter la pièce dans laquelle nous nous trouvons. La décoration du salon n'a pas changé. La tête de sanglier qui surplombe la voûte donnant sur un long couloir me file toujours autant la chair de poule. Je détestais rester seule ici quand j'étais enfant à cause de ce trophée de chasse.

Sur les vieux meubles en bois rongés par les mites, des bibelots datant du Moyen-Âge au moins, des croix surmontées d'un Jésus agonisant, et des jarres en terre peintes par ma grand-mère au début de sa retraite. Contre le mur en pierre, des guirlandes en papiers et des ballons argentés estampillés du chiffre cent en grosses lettres noires viennent justifier la présence de tout ce monde aujourd'hui. Ce qui me fait remarquer que je n'ai toujours pas localisé le membre au centre de l'attention.

La voix rocailleuse de mon grand-père s'élève alors d'un coin de la pièce que je n'avais pas encore exploré, pour proférer sa première attaque, sans introduction :

– Charlotte. Je ne m'attendais pas à te voir ici.

J'aperçois du coin de l'œil les sourcils de Chloé se hausser légèrement en signe d'étonnement en entendant le nom par lequel mon grand-père m'a appelé. Ça me fait grincer des dents, mais je décide de ne pas relever.

– C'est moi qui l'ai invitée, intervient mon frère revenu de la cuisine avec nos boissons.

J'agite la main dans la direction du fauteuil de mon grand-père, ayant plutôt envie de lui brandir mon majeur en pleine face, et lui réponds le plus poliment possible.

– Bonjour.

J'attrape mon verre et le bois à grandes goulées pour détourner mon attention.

– Je te présente Chloé, articulé-je finalement à mon grand-père en lui montrant la concernée.

– Bonjour Monsieur, tente-t-elle, ne se démontant pas. Enchantée de vous connaître. Joyeux anniversaire.

Les yeux de l'intéressé tombent sur Chloé et je vois ses sourcils se froncer dangereusement, avant de se détendre.

– Bonjour chère demoiselle. Si je me fiais à vos cheveux au moins aussi blancs que les miens, je vous dirais que la vieillesse vous va à ravir ! Bien mieux qu'à moi.

Son ton mielleux me dérange. Espère-t-il se mettre mon acolyte dans la poche, ou cherche-t-il à m'exposer sa fausse gentillesse en guise de drapeau blanc ?

Chloé saisit une mèche de ses cheveux et la laisse glisser entre ses doigts en souriant, mais ne dit rien.

– Charly... gronde tout à coup une voix qui a pour effet de me tendre instantanément.

Je pivote vers mon père et le découvre vieilli. Son crâne parsemé de poils grisonnants est dégarni sur le haut du front. Deux grosses rides ont creusé l'interstice entre ses deux sourcils touffus. Il ressemble encore plus à un ours comme ça. Ses traits sont durs et agressifs. Aucune lumière n'illumine son regard qui me fusille sur place. Ce qui ne m'étonne pas vraiment tant il est pourri de l'intérieur.

Hating, Craving, FallingOù les histoires vivent. Découvrez maintenant