– Tu as un frère ? s'étonne-t-elle.

– Tu ne le savais pas ?

Abrutie, comment pourrait-elle être au courant ?

La qualité de nos échanges au travail est telle que l'on n'évoque jamais nos vies personnelles. Elle ne connaît que ce qu'elle voit aux rares soirées que l'on partage, c'est-à-dire quelques amis. Mais elle ne sait rien de ma famille. De mon histoire. De mon existence. De moi. Elle ne sait absolument rien de moi et je ne sais rien d'elle non plus. Et je m'aperçois tout à coup que ce constat me dérange.

– Tu as un frère toi ?

– Oui, me répond-elle. Mais on ne parle pas de moi ici.

– On pourrait.

– Ce n'est pas chez moi qu'on se rend.

Ce n'est pas chez moi non plus...

J'avance en terrain miné et le risque augmente au fil des minutes. Cet événement est une réunion de bombes à retardement, et je ne serais peut-être pas celle qui explosera le plus fort.

Pourquoi est-ce que j'ai accepté ?

– Alex.

Elle fronce les sourcils sans comprendre.

– Mon frère. Il s'appelle Alex.

– Comme Alexandre ? demande-t-elle.

– Non. Comme Alex.

– Charly et Alex Sanders, marmonne-t-elle.

Elle le répète plusieurs fois, comme si ça allait lui permettre d'en savoir plus sur ma famille. Je ne mentionne pas Léa. Je n'évoque personne d'autre. Je l'observe seriner nos noms, plus pour elle-même qu'autre chose. Peut-être pour s'en imprégner, s'en rappeler. Ses lèvres bougent sans bruit, sans jamais se toucher. C'est un peu étrange, mais je la laisse faire.

– Il sera présent ?

Je sursaute, comme prise sur le fait. Je détourne les yeux avant de répondre.

– C'est lui qui m'a forcée à venir, il a plutôt intérêt à être là !

– Il t'a forcée ? Comment ça ?

Merde...

J'en ai trop dit. Ou pas assez.

– C'est compliqué.

– Ça, j'avais compris, Charly. Tu m'embarques à l'anniversaire de ton grand-père, alors qu'on est à des années lumières de se considérer comme proches, parce que visiblement tu flippes complètement et tu ne veux pas te heurter seule à ce que tu dois affronter. Ton frère te force, ce qui confirme que tu n'y serais jamais allée volontairement. Ce qui veut aussi dire que si tes parents sont présents, ils n'ont jamais été spécialement de ton côté, ou que tu ne t'entends pas avec eux. Et que la plupart des personnes invitées ne représentent pas pour toi un espace qu'on pourrait qualifier de sécurisant, sinon tu ne craindrais pas tant de t'y retrouver seule. Je ne sais pas si tu es proche d'Alex ou non du coup, même si ça semble te rassurer qu'il soit là. Et je pense que tu détestes ton grand-père, mais je ne sais pas pourquoi. Je me trompe ?

Je reste sidérée par sa capacité à lire en moi et comprendre tout ce que je ne dis pas.

Non. Elle ne se trompe pas. Enfin presque. J'adore mon frère, et si ce n'était pour lui, jamais je ne me serais fourrée dans ce guet-apens.

Je sens la panique s'insinuer dans mes veines. C'est vraiment n'importe quoi ! Je vais lui dire de faire demi-tour. Je vais appeler Alex et lui expliquer que je ne peux pas faire ça. C'est au-dessus de mes forces.

Chloé me répète sa dernière phrase. Elle veut une réponse et je ne sais pas quoi lui dire. Je n'ai déjà pas réussi à assumer que je ne me souvenais pas avoir couché avec elle, ce n'est pas pour me rendre encore plus vulnérable en lui avouant mes faiblesses. Ce serait lui donner raison, et surtout, ce serait accepter que mon grand-père et mon père me font encore peur. Ce serait admettre qu'après toutes ces années, la rancœur que je porte en moi est plus forte que jamais.

Je saisis mon téléphone et commence à taper le numéro de mon frère.

– Charly ?

Je regarde le GPS qui indique un petit quart d'heure avant d'arriver à destination. Je panique totalement. Je bloque au-dessus du clavier de mon portable. Je ne peux pas annuler. C'est trop tard. Et je le lui ai promis.

– Putain ! crié-je d'un coup, sans pouvoir me contenir.

Mes yeux brûlent de rage. Ils parcourent l'habitacle, ne sachant sur quoi se poser. Je me tortille sur mon siège. J'ai l'impression d'étouffer tout à coup. Ma main se plaque sur ma bouche.

Qu'est-ce que j'ai fait, putain ?!

Chloé me regarde, inquiète. La route sinueuse de montagne l'oblige à ralentir. Elle doit penser que je me sens mal, que j'ai envie de vomir à cause des virages.

– Charly... dit-elle d'une voix douce. Ça va aller. Je suis là.

Mes yeux s'écarquillent. Ça me fait une belle jambe qu'elle soit là. Ça ne va strictement rien changer. Mais qu'est-ce que je peux être stupide, bon sang ! Ramener une inconnue face à mon grand-père. Face à mes parents. Face à tous ces voraces qui n'ont eu aucun mal à me renier, pour la simple et bonne raison que j'ai voulu être moi-même. Est-ce vraiment une raison suffisante ?

Un long soupir saccadé s'échappe de mes lèvres et j'entends le bruit de la vitre qui descend légèrement. L'air frais s'engouffre dans la voiture et fouette mon visage.

Ça me calme instantanément, me ramenant à la réalité. Je ne suis plus une enfant chétive. Je sais ce que je veux. Je sais qui je suis. Et personne ne pourra m'enlever ça. Ni mon père, ni mon grand-père, ni ma sœur. Cette famille composée d'étrangers ne me dictera jamais ma conduite.

La fenêtre remonte légèrement, et je prends conscience que c'est Chloé qui a actionné les boutons.

– Merci, murmuré-je.

En arrivant devant le portail ouvert, j'aperçois une dizaine de voitures dans la grande cour fleurie de l'immense demeure. J'indique à Chloé où se garer et elle éteint le contact. Je suis comme paralysée sur mon siège. Elle se détache et se tourne vers moi, mais ne dit rien, les clés de sa voiture dans la main. Elle attend mes directives. Je lui fais face et croise ses grands yeux noisette pour la première fois depuis le début du trajet. Un courant électrique me traverse jusqu'aux pieds et je me décide enfin à parler.

– Chloé... Je suis vraiment désolée, articulé-je dans un souffle.

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Are you ready ? Parce que ça promet...

J'espère que ce chapitre vous a plu !

Je publierais le 15 et le 16 demain alors stay tuned ;-)

Bonne journée !

xx

Victoria

Hating, Craving, FallingWhere stories live. Discover now