Chapitre 35

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— Ça va ? On dirait que t'as vu un fantôme.

La copie crachée de mon frère m'adresse un sourire timide. Je tente de reprendre mes esprits en secouant la tête.

— Désolée... Tu me fais penser à quelqu'un.

— Ah bon ? Qui ça ?

Mon estomac se noue, ma gorge se comprime. Des images incessantes du moment où les miliciens ont emmené Eliot me reviennent en mémoire. Je frissonne de tous mes membres. Je n'arrive pas à émettre le moindre mot. Je pars en courant me terrer dans ma tente. Je ne souhaite pas en parler.

Le lendemain, je rends honneur au rendez-vous fixé avec Lulu. Toutes les idées dans ma tête sont tourmentées avec la rencontre que j'ai faite hier.

Lorsque j'arrive dans le gymnase, Lulu est déjà en train de fendre l'air d'une épée en bois. Je la rejoins, elle m'adresse un rayonnant sourire qui réchauffe un peu mon cœur. J'attrape à mon tour une arme et nous commençons à échanger quelques coups. Elle se bat pas trop mal mais on dirait qu'elle se retient, sûrement par peur de me faire mal. Mais Blue m'a habituée à être frappée.

— Vas-y, tu peux y aller plus fort, je suis pas en sucre.

Ses joues rougissent immédiatement. C'est bien ce qu'il me semblait. Ses attaques sont tout à coup plus énergiques, j'ai plus de mal à les parer mais y parviens toutefois. Au bout d'une demi-heure à s'entraîner, Lulu s'arrête.

— Mais comment tu fais pour tout contrer ? me demande-t-elle, à bout de souffle.

— J'imagine que Blue m'a bien entraînée, lui réponds-je en haussant les épaules.

— La chance..., murmure-t-elle en fixant le sol. J'aimerais tellement m'améliorer, gravir les échelons, découvrir ce qu'est devenu le monde extérieur... Mais je fais que stagner. J'ai l'impression que je n'arriverai jamais à me rendre utile.

Découvrir ce qu'est devenu le monde extérieur... C'est vrai, ça. Il s'en est passé du chemin entre ma dernière leçon d'école. Comment vivent les jeunes de mon âge à présent ? Sans divertissement ? Surveillés par des miliciens à longueur de journée ? Dans la peur d'être à leur tour enrôlés par l'armée ?

— Qu'est-ce qui nous empêche de partir en mission de ravitaillement ? l'interrogé-je, un sourcil arqué.

Elle relève la tête d'un geste vif et écarquille les yeux en les plantant dans les miens.

— Tu rigoles ? C'est pas à nous de décider des missions. On ne peut pas partir comme ça... Qui sait ce qu'il pourrait se passer ?

— Oh... allez, qui se rendrait compte de notre absence ? On part une heure. Il doit bien y avoir des magasins de bouffe pas trop trop loin.

Lulu pince les lèvres, le regard vague. Elle réfléchit à ma proposition.

— C'est vrai que personne ne se rendrait compte de mon absence... Mais toi, Blue peut-être.

Je secoue la tête.

— T'inquiète, elle sait que je m'entraîne avec toi aujourd'hui. Elle ne remarquera pas si on s'absente qu'une seule heure.

Un fin sourire étire ses lèvres.

— Allons-y rapidement, alors ! Avant qu'il fasse nuit et que ce soit l'heure du dîner...

J'acquiesce. Munies de nos sacs à dos, nous contournons le bâtiment d'entraînement pour nous trouver face à un assez grand mur de bois, à l'opposé du portail gardé par quelques résistants.

Je fais la courte échelle à Lulu qui parvient à s'agripper au sommet et me tend le bras. Je pose un pied sur le mur et attrape sa main qui me hisse. Nous sautons alors de l'autre côté. L'immense forêt devant nous est pleine de verdure et a un aspect idyllique. J'hume l'air chaud et réconfortant du soleil sur les feuillages. Ça fait du bien de se retrouver en pleine nature.

— Bon, faut pas qu'on s'éloigne trop et qu'on continue vers l'arrière du camp pour éviter que des résistants nous voient, chuchote Lulu par peur d'être entendues.

J'approuve sa remarque, nous restons baissées et avançons à pas de loups. Quelques bruits d'animaux sauvages nous parviennent, nous restons discrètes et nous éloignons des potentiels conflits.

Au bout d'une quinzaine de minutes de marche, nous arrivons à l'abord d'un petit village à l'orée de la forêt. Un petit pâté de maisons se situent avant le centre. L'une d'entre elles attire notre regard : elle a un potager assez conséquent. Lulu et moi échangeons une œillade hésitante.

— On vole ? me demande-t-elle, les sourcils peinés.

— Tu veux qu'on achète avec quel argent ?

Elle grimace. Je sais ma question pertinente, mais c'est surtout un fait. Nous sommes vus comme des terroristes, nous ne pouvons pas agir complètement pour le bien.

Avec discrétion, nous rentrons dans le jardin, profitons des buissons pour nous rendre invisibles au possible. Lulu m'ordonne de cueillir quelques brèdes. Je l'écoute attentivement, ne connaissant pas les légumes de Madagascar, étant donné que je suis née en Australie. Je fourre le tout dans mon sac, nous les remplissons jusqu'à ne plus avoir de place. Nous tentons de faire au plus vite, afin d'éviter que quelqu'un ne nous repère.

Nous retournons rapidement dans la forêt, heureuses d'avoir fait bonne affaire sans embûches. Nous nous mettons à courir pour rejoindre au plus vite le camp, de sorte à ce que notre disparition n'ait alerté personne. Euphoriques, nous rions et plaisantons au sujet de notre sortie dehors.

— C'est comme si on sortait d'une cage ! Ça fait un bien fou ! J'ai l'impression de ne pas m'être autant amusée depuis des années, même si ça ne fait que six mois..., se confie Lulu.

Je la comprends totalement. Cela fait bien longtemps que je n'avais pas passé une heure de vie insouciante comme celle-ci, et je dois avouer que ça m'a beaucoup plu aussi.

— On remettra ça ! m'exclamé-je en sautillant.

Je n'ai pas le temps de continuer ma phrase que dans mon saut, je sens quelque chose fouler mes pieds et me fais aussitôt chuter. Je roule plusieurs mètres au sol, sonnée, avant de pouvoir me redresser pour savoir ce qu'il s'est passé.

Face à moi, de longs cheveux blonds décoiffés, un visage rouge de colère, avec presque de la fumée sortant de sa bouche, Blue me dévisage. Mon cœur rate un battement en comprenant que nous sommes désormais proches du camp et que ma sentence sera irrévocable.

— Non. Vous ne remettrez jamais ça. Bande d'abruties.

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