Chapitre 9

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Nous passons plusieurs jours à courir la nuit, nous faufiler quand c'est éclairé, tentant ainsi d'échapper à la Milice, épuisés. Nous ne l'avons jamais croisée. Nous ne savons même pas s'ils nous recherchent, pourtant nous avons le sentiment d'être sans cesse épiés. Nous sommes livrés à nous-mêmes. Grâce au sac d'Eliot, nous pouvons nous nourrir de boîtes de conserve : maïs, thon... et de chips. Nous économisons l'eau dans nos bouteilles jusqu'à la dernière goutte. Ces simples victuailles ne me suffisent plus. La faim commence à se faire sentir.

Penser à mon frère me tord le ventre. Je n'avais pas réussi à prendre la moitié de ce qu'il m'avait confié. C'est grâce à lui si nous sommes en vie aujourd'hui. Qu'est-il arrivé au reste de ma famille ? Songer à eux m'est douloureux. Mikhail aussi se fait un sang d'encre.

Au début de notre périple, nous nous trouvions en campagne, dans des lotissements. Le plus dur avait été de ne pas nous faire repérer par nos voisins qui nous connaissent si bien. Dès que l'un d'eux sortait de chez lui, nous sautions dans les buissons, là où plusieurs épines se sont plantées dans notre peau. C'était le soir, il faisait sombre, l'air n'était que légèrement froid, mais suffisamment pour nous faire frissonner.

Nous avions ensuite rejoint la ville, il y avait du monde certes, mais personne ne semblait nous reconnaître. Notre fuite avait été trop subite pour que les miliciens avertissent les civils de notre disparition – enfin, s'ils s'en préoccupaient. Le soleil s'était levé lorsque nous avions rejoint la cité. Il faisait bon et le monde affluait, c'était jour du marché. Nous avions pu nous fondre dans la masse. Tellement, que notre course avait été ralentie, en vue du nombre de gens qu'il avait fallu dépasser.

Puis le mobilier urbain avait rapidement laissé place à une jungle de branches, de feuillages et de terre. Nombre de fois, je me suis pris les pieds dans les racines dissimulées par l'humus et ai perdu l'équilibre, chutant parmi les vers de terre et autres petits insectes. Des heures durant, les épines des branches ont fouetté mon visage, maintenant constellé de coupures et maculé de terre. La forêt tropicale est brûlante. Dangereuse. Même si j'ignore si des animaux féroces y vivent vraiment.

L'endroit indiqué par Carrol se situe au milieu de nulle part, dans le centre de l'Australie. La forêt laissant place au Grand Désert Victoria.

Deux jours plus tard, nous étions proches d'arriver. L'épuisement, la faim et la chaleur écrasante du soleil, malgré la hauteur de la cime des arbres avaient raison de moi. Mes jambes, tremblantes et douloureuses, me portent à peine. Mon estomac gronde si fort qu'il fait le même bruit qu'un tremblement de terre. J'ai failli abandonner, mais Mikhail est là, fort, à mes côtés, et son courage et sa détermination m'ont aidée à poursuivre notre route jusqu'ici. Cependant, un immense monticule de roche et de terre cuite nous barre la route en plein cagnard.

Mon père fixe avec empressement le carnet où il a noté les coordonnées à atteindre. Il n'y a pas un signe d'oiseau.

— Je ne comprends pas... Ça devrait être juste là, mais ce granit nous empêche de rejoindre le point indiqué, soupire Mikhail.

Ces jours de cavale nous ont totalement lessivés. Nous avions à peine dormi, après tout. J'entends à sa voix qu'il désespère. Et moi aussi.

J'analyse le roc en face de moi, les sourcils froncés. C'est alors qu'une idée me vient, j'échange une œillade inquiète avec mon père.

— Tu crois qu'il faut qu'on l'escalade ? lui demandé-je dans un souffle.

Il hausse les épaules, peu amène à l'idée de le faire.

— On peut tenter...

Mikhail passe devant moi pour nous frayer un chemin. Je plante un premier pied dans la terre dure et chaude, et remarque que je n'ai pas toutes mes forces. Le voyage m'a fatiguée, mes muscles tremblent sous mon poids.

— Ça va, Capucine ?

J'essaie de reprendre contenance et serre les dents.

— Je vais faire ce que je peux...

Comprenant mon incapacité à rejoindre rapidement le haut du mont, mon père fait en sorte de suivre mon rythme. Dommage que nous n'ayons pas une corde, nous aurions sûrement été plus efficaces avec – papa m'aurait tirée un peu.

Je m'efforce de ne pas regarder en dessous de moi, à mesure que nous nous éloignons du sol. Je n'ai pas le vertige, mais n'ayant aucune protection, je préfère éviter de me rappeler qu'il est possible de chuter. Surtout que de dangereuses bestioles peuvent se cacher dans les rochers.

Ma respiration est saccadée, elle se coupe à chaque nouveau mouvement que je fais, la peur m'accaparant toute entière.

Au bout d'une vingtaine de minutes interminables, Mikhail parvient à rejoindre le haut, et me tend la main pour que j'en fasse de même. Il m'adresse un grand sourire, car il sait ce qui nous attend sur le pic. Derrière lui, des tentes ont été montées, un feu de camp éteint est visible, et une multitude de personnes nous regardent arriver.

Je pense que nous avons trouvé notre havre de paix.

Carrol s'approche de nous en courant, elle a les traits tirés, elle aussi semble épuisée.

— Capucine, vous avez réussi !

Elle me prend dans ses bras. Je profite de cette étreinte pour me laisser aller. Son odeur m'apaise instantanément. Des larmes montent à mes yeux. Je remarque que j'avais besoin de ça, après tout ce qu'il s'était passé. Sa chaleur est salvatrice. Une fois qu'elle met fin à notre accolade, elle s'adresse à moi avec douceur :

— Venez, on va monter votre tente. Vous devez être fatigués.

Elle commence à se diriger vers le centre du campement, mon père et moi lui emboîtons le pas.

— J'ai tellement de questions..., lui soufflé-je.

Elle secoue la tête en signe de dénégation.

— Il faut que vous vous reposiez, on aura tout le temps de discuter ensuite. Tu as vraiment mauvaise mine.

Par réflexe, je porte ma main à mon visage, mais je ne peux me voir. Cependant, je sais qu'elle a raison, car tous mes membres sont douloureux.

Carrol nous donne une tente que Mikhail monte aussitôt. Je l'aide à accrocher les piquets, puis ma camarade de classe nous invite à manger.

— On a fait une soupe de nouilles, nous informe Carrol. J'espère que ce sera à votre goût, on ne peut pas cuisiner des plats incroyables, ici. On fait avec ce qu'on a.

Nous la suivons jusqu'au feu de camp.

— Je vous laisse manger tranquillement, j'ai quelques petites choses à faire. Quand vous avez fini, laissez tout là et allez dormir. On parlera demain. Ou quand vous vous réveillerez.

Carrol nous laisse tous les deux, assis sur un tronc d'arbre. Mangeant le bol de soupe bien chaude, je me permets d'observer les personnes alentours. Je dirais qu'une trentaine de campeurs habitent les lieux. Ça ne pouvait pas paraître énorme, mais l'endroit étant petit, cela faisait beaucoup. Je me demande ce qu'ils fabriquent ici... Est-ce que ce sont des orphelins, comme moi ? Mais Carrol n'en est pas une. Alors ce serait vraiment des magiciens ? Malgré le spectacle dont j'avais été témoin, j'avais du mal à y croire.

Je reconnais parmi eux ceux qui avaient tenu tête aux miliciens. J'avais hâte de découvrir ce petit monde. Que mes questions trouvent leurs réponses.

Une fois le repas silencieux terminé, mon père et moi nous installons dans la tente pour nous coucher. L'ambiance est lourde, nous savons tous deux que nous songeons à notre famille, mais n'osons pas en parler. Mes paupières sont tellement lourdes que je tombe rapidement dans les bras de Morphée.

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