À mon avis, elle me surestime largement. Mais il est vrai que ces derniers temps j'essaie de déconstruire mes préjugés. Ce qui n'est pas une tâche facile, surtout quand j'ai baigné dans le jugement pendant toute mon enfance.

Je me souviens encore de la manière dont ma mère qualifiait mon homosexualité de « situation » qu'il était difficile de régler. Comme s'il y avait quelque chose à régler. Comme si j'étais une pendule qui ne sonnait plus l'heure au bon moment et qu'il suffisait d'en resserrer quelques boulons. C'est bien ce qu'a tenté de faire mon père depuis ma naissance d'ailleurs, me retaper, me réparer, fixer l'erreur que j'étais devant la passivité accablante de ma mère... Pourtant, tout ce qu'il a réussi à faire est me détraquer encore plus jusqu'à ce que je ne devienne qu'un meuble devant sa tapisserie hideuse.

Avec la découverte de mes « penchants », ma sœur a rejoint ses rangs et j'ai réalisé qu'elle possédait un avis bien trop tranché sur la manière dont l'orientation sexuelle d'une personne définissait son humanité. J'imaginais que les années deux mille ne connaissaient plus ce genre de préjugés aberrants, en France tout du moins. Mais il faut croire que si, et son illustration parfaite porte mon nom.

J'ai tendance à en rire maintenant. J'ai évolué, loin d'eux, et aujourd'hui je suis heureuse. J'ai décidé que je resterai une femme non ternie par une famille aux jugements dévastateurs. Malgré tout, cela laisse des réflexes dont il est difficile de se départir. Rien qu'à voir la manière dont je perçois Chloé. J'ai du mal à comprendre pourquoi je peux me montrer volontaire pour évoluer sur tous les sujets sauf le sien. Quelque chose me bloque en elle, me retient de creuser plus loin. Mais je n'ai pas envie de perdre mon énergie à cogiter à ce propos. Pas alors que je suis en si bonne compagnie.

– Tu sais quoi ? reprend Betty d'un ton enjôleur. Si tu tiens tant à me loger dans une case, je choisis celle des cœurs d'artichaut.

Je lève un sourcil, stupéfaite, et ma manie de pincer mes lèvres avec mes ongles dès que je suis nerveuse réapparaît.

Serait-ce un mauvais coup du sort ?

Une jolie fille, intelligente, rigolote et qui n'a pas l'air de vouloir se prendre la tête, il fallait bien que ce soit le genre à tomber amoureuse et rêver de tout ce qui va avec.

J'apprécie Betty, mais je sais aussi que mes relations ne dépassent jamais l'aspect charnel. Je ne tiens pas à la blesser ni à lui faire miroiter l'impossible. La solution reste encore de prendre la tangente.

– Ne l'est-on pas un peu tous ? Je pourrais me définir de la sorte, quelque part. Disons que je n'aime pas vraiment me poser avec quelqu'un.

Largage de la bombe : check.

J'espère ne pas la voir décamper. Elle m'attire vraiment beaucoup et ce serait du gâchis de ne pas pouvoir laisser libre cours ce désir qui commence tranquillement à embraser mon corps.

Elle se met à rire, ce qui fait disparaître son grain de beauté dans une de ses fossettes. Une lueur brillante apparaît dans ses magnifiques yeux bruns lorsqu'elle me regarde.

– Quand je dis « cœur d'artichaut », c'est que je tombe réellement amoureuse de tout le monde. Dès qu'une personne retient mon attention, c'est fichu, je me suis déjà perdue dans ses filets. Je ne peux pas m'en empêcher ! Ça ne m'arrive pas forcément souvent, mais c'est quelque chose que je n'ai pas envie de contrôler. Je pourrais me mettre des barrières et m'en tenir à une personne seulement, mais lorsque j'ai essayé, je me sentais prisonnière de mes relations. J'avais constamment l'impression de louper d'autres choses. Et je chéris beaucoup trop ce sentiment de tomber amoureuse pour m'en passer. Du coup, je préfère ne pas m'engager, car jusqu'à maintenant je n'ai jamais trouvé personne qui partageait ce point de vue et nous permettrait cette liberté.

Hating, Craving, FallingOù les histoires vivent. Découvrez maintenant