J'écarquille les yeux.

– Je n'ai rien dit !

– C'était plutôt manifeste.

– Ce n'est pas que j'aie besoin de catégoriser tout le monde. C'est juste que... si tu es intéressée par moi, ça veut dire que tu aimes les filles, mais si tu me dis que tu n'es ni lesbienne ni bi, je t'avouerai que je suis un peu perdue.

– Parce que, précisément, tu essaies de me catégoriser. Mais ce n'est pas de ta faute, tout le monde le fait, ajoute-t-elle presque peinée. D'ailleurs, pour ta gouverne, il y a encore d'autres termes qui englobent l'attirance pour les filles.

Je trempe mes lèvres dans mon verre en secouant la tête, mais elle ne me laisse pas répondre.

– Le fait est que je n'aime pas me définir comme quoi que ce soit. Je sais que ça emmerde profondément les gens parce que l'humain a ce besoin primaire de tout catégoriser. Ça permet de voir le monde plus simplement, et au fond, je ne peux pas leur en vouloir. Mais certaines choses nécessitent une souplesse que n'offre pas la rigidité des cases dans lesquelles on les range. Et je n'aime pas l'idée que l'on me définisse par rapport à mon orientation sexuelle ou sentimentale.

– Ce n'est pas le cas ! Crois-moi, je peux te définir de bien des manières, cependant, je ne te connais pas encore assez pour que ça soit réellement poussé.

– Peut-être, répond-elle, ayant retrouvé le cœur à rire. Mais c'est quand même une des premières choses à laquelle tu t'es référée quand tu t'es dit que c'était marrant de bosser avec moi.

Je fais tourner mon verre entre mes doigts. Je n'aime pas l'idée de catégoriser les gens, encore moins quand ce sont les autres qui ne voient que ça en moi, et je suis la première à gueuler pour combattre cette tendance ahurissante. Et pourtant, je ne peux pas m'empêcher de le faire quand même.

– C'est vrai. Je suis navrée si tu l'as ressenti de cette manière. Je n'aurais pas dû présumer ton orientation. C'est une habitude que j'essaie de perdre... Pour revenir aux étiquettes, et c'est une réelle question : je me demande si ce n'est pas important, parfois, de mettre des mots sur les choses.

– C'est-à-dire ?

– Eh bien, certaines catégorisations permettent à ceux qui s'y identifient de légitimer leurs ressentis, grâce à des termes qui n'existaient pas forcément avant, par exemple. Nommer une chose la rend réelle, et ça permet aussi de se réapproprier certaines expressions. Aujourd'hui encore, le mot « lesbienne » est souvent perçu comme négatif, voire comme une insulte parfois, ou comme une objectivation sexuelle de l'amour entre femmes pour ces chers hommes hétéros. Je ne sais pas si tu as déjà fait le test, mais si tu tapes le mot « lesbienne » sur un moteur de recherche tu tombes majoritairement sur des sites pornographiques.

Je n'imaginais pas me lancer dans ce débat à notre premier rendez-vous, mais ça se révèle passionnant.

– Au final, je pense que c'est surtout une question de respect. Si certaines personnes n'en ressentent pas le besoin, elles devraient être libres de ne pas se coller d'étiquette. Au même titre que celles pour qui mettre un nom sur leurs sentiments, leur identité, est profondément libérateur. J'estime que le choix leur revient.

Elle hausse les sourcils et me regarde du coin de l'œil, considérant mes propos. Elle ne lâche pas mes pupilles tandis qu'elle réfléchit et ne semble pas remarquer qu'elle joue avec sa paille du bout de la langue.

Bon sang, ce qu'elle est sexy !

– Tu es surprenante, Charly Sanders. Tes arguments tiennent la route, et honnêtement, à première vue, je ne me doutais pas que tu réfléchissais de cette manière. C'est agréable de parler avec quelqu'un qui sait se remettre en question.

Hating, Craving, FallingWhere stories live. Discover now