Aller au marché le dimanche constitue mon petit plaisir du week-end. Habituellement, j'y retrouve Pauline quand elle ne travaille pas. On commence par un grand tour pour tâter tous les fruits et légumes jusqu'à ce que les maraîchers nous chassent, car on n'achète rien. Lors de notre deuxième tour, on engage la conversation avec toutes les petites mamies qui sont sur le point de donner la monnaie au vendeur. Non contentes de découvrir une oreille attentive, elles se lancent dans le récit du moindre détail de leur quotidien, pendant que le maraîcher attend son solde. C'est finalement un service qu'on leur rend à ces pauvres personnes âgées n'ayant personne avec qui discuter.

Une vraie œuvre de charité.

Cependant, ce matin, j'erre seule dans les allées du marché et je n'ai pas la force d'ouvrir le bureau du troisième âge. Éviter les poussettes et les caddies me prend déjà bien trop d'énergie.

En fin de compte, je rentre les mains vides si ce n'est la promotion de l'étal du fromager. Je me sens vivifiée de cette petite promenade, bien que mon corps ait toujours du mal à suivre. Je m'installe sur la terrasse pour grignoter ce qui constitue mon principal repas de la journée avant de m'affaisser avec satisfaction sur la banquette de ma balancelle, une vue imprenable sur le Mont-Blanc.

Sans déconner, j'ai vraiment une vie royale !

Je me réveille quelques heures plus tard, Artémis sur les genoux, ronronnant calmement, et des frissons parcourant mon corps. La fin du mois de septembre commence à se faire sentir. La vision de mes tournesols fanant dans le jardin confirme mes pensées. Chaque été, je plante mes fleurs préférées juste en face de la terrasse pour pouvoir les admirer dès que j'en ai l'occasion. Elles ont toujours représenté l'espoir pour moi, sans que je puisse véritablement me l'expliquer.

Depuis toute petite le jardin était mon refuge. On passait des heures à triturer la terre avec Léa, à observer les insectes puis entretenir les plantes plus tard. À cette époque, j'étais très proche d'elle. C'était un peu mon modèle, à réussir tout ce qu'elle entreprenait. Notre père la choyait même quand elle se rebellait, alors qu'il ne m'accordait aucune considération, ce qui valait à ma sœur toute mon admiration. À mes yeux, elle méritait toute l'adoration de mon père et je n'aspirais qu'à un objectif : lui ressembler. Au jardin, j'étais le centre de son attention. Elle me proposait toujours de choisir ensemble ce qu'on voulait planter. Elle appelait les tournesols « les enfants du Soleil » et j'affectionnais particulièrement l'idée de pouvoir m'en occuper pour les chérir. Dès lors que l'on plaçait les semis en terre, j'allais chaque jour leur dire à quel point ils allaient devenir magnifiques et rayonnants. Et malgré l'amertume qui teinte désormais ces souvenirs avec Léa, le pouvoir rassurant de ces plantes ne s'est jamais terni. Encore aujourd'hui, les tournesols sont les seuls êtres à qui j'ai jamais déclaré mon amour.

Je n'ai toujours pas regardé mon téléphone. Peu fervente des nouvelles technologies, j'ai tendance à le délaisser dans un coin et l'oublier lorsque je n'en ai pas l'utilité. C'est tout de même bien plus pratique qu'un pigeon voyageur, mais je préfère débarquer directement chez les gens quand j'ai envie de les voir plutôt que de converser au travers d'un écran. D'autant que je déteste écrire des textos et j'abhorre l'idée de ces échanges de SMS. Mes amis savent qu'il est difficile de me joindre, résultant en un temps interminable avant d'obtenir une réponse de ma part. Ils ont donc fini par s'habituer à mon mode opératoire.

Finalement, plus par curiosité que besoin, je me décide à regagner ma chambre lorsqu'un qu'un nuage lourd de pluie vient enlever tout intérêt à rester dehors. À ma grande surprise, deux notifications se sont ajoutées à celle de ce matin.

C'est Noël ou quoi ?

Un appel manqué de ma mère que je ne rappellerai pas. Un SMS de Pauline me demandant comment je vais. Et un message d'un numéro inconnu :

Hating, Craving, FallingWhere stories live. Discover now