24 Laissez-moi une chance

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« Pardon, Maître, je me suis entrainée. Laissez-moi une chance ».

Je regardais, abasourdi, la dizaine de courriels dans ma messagerie. J'étais partagé entre la fierté – toute masculine – d'avoir cette fille sous ma coupe et mes interrogations sur son état mental. Mais de quoi elle parlait ? Elle s'était entraîné ? Et comment elle a fait ? Elle a passé sa soirée à pisser dans des flûtes à champagne ? Elle a fait des séances de musculation du périnée ? Elle s'est inscrite à des cours de yoga, de relaxation, de sophrologie de gestion du stress ? Je l'imaginais comme une sportive de haut niveau, toute seule dans sa salle de bain, faisant le vide dans son esprit, se concentrant sur sa respiration abdominale, fermant les yeux et tentant inlassablement de visualiser mentalement son objectif : uriner dans un verre à moutarde.

Pas de doute : ça partait en vrille. J'avais envie de couper court à toutes ces bêtises. D'oublier son côté kinky pour ne plus penser qu'à la jolie vendeuse de l'épicerie de quartier. Je n'avais pas le cœur de le lui dire en face mais je pouvais tout simplement arrêter de répondre à ses messages. Et, avec un peu de chance, la belle, désespérée se laisserai consoler par le gentil, quoique un peu niais, garçon qui lui apportait des fleurs.

C'est difficile de prendre une décision. Face à un problème de maths ou de physique, je sais d'instinct dans quelle direction chercher. Rien qu'à lire l'énoncé, je sais déjà quels théorèmes ou quelles méthodes je devrai employer. Avec les filles, c'est plus compliqué. En fait, j'ai même toujours tout faux.

Je regardais bêtement le clavier du PC quand j'ai eu une illumination : mon premier mouvement a été de tout vouloir arrêter. Donc, si je pars du postulat que je me trompe systématiquement, que, en ce qui concerne les relations amoureuses mon instinct me dicte toujours la pire des attitudes à adopter, alors, tout ce que je devais faire c'est continuer. Ainsi, en adoptant l'attitude opposée à celle qui, rationnellement, est la bonne, j'étais dans le vrai. Oui, j'ai bien conscience que c'est puéril comme raisonnement. Voire même complétement idiot. Mais là, sur le coup, je n'avais rien de mieux.

Donc j'ai tapé : « Ce soir 20H30. Sous-vêtements sexy, bas et porte-jarretelles. Et t'as intérêt à trouver les mots pour que j'accepte de passer l'éponge. »

Décidément, je le jouais bien, le rôle de sadique pervers. Si j'avais dû lui dire ça en vrai, devant elle, j'aurais bégayé, je serai devenu rouge comme une pivoine et elle aurait éclaté de rire. Mais, là, protégé par mon ordinateur, j'étais à l'aise. Je laissais libre court à ma méchanceté naturelle.

Oui, je sais, c'est bas. C'est nul. C'est méprisable. Mais, en amour, c'est comme à la guerre : pas de quartier. Cupidon terrasse certaines femmes par ses flèches, d'autres par ses pièges. Moi, je fais les deux. Les fleurs et les chocolats en journée. Le cuir et la cravache le soir.

Bon, assez de vantardises. J'ai englouti un café vite fait et j'ai filé retrouver ma petite caissière préférée. Pour une fois je ne suis pas passé voir la fleuriste. Pas le temps. J'étais déjà suffisamment en retard comme ça.

Quand je suis arrivé elle était devant le magasin. J'ignore si elle m'attendait. Ou si c'était simplement l'heure de sa pause. Mais sur le coup je me suis dit : « cette fille a poireauté pour toi, mon salaud. C'est dans la poche ! ».

Et effectivement elle m'a souri dès qu'elle m'a reconnu.

- Alors ça va mieux ?

- Oui. J'ai été un peu ridicule, non ?

J'avais décidé de la jouer amoureux transi. A l'opposé du macho qui la tourmentait chaque soir.

- Bah, oublions ça. Pas de rose aujourd'hui ?

- Euh, non, je suis très en retard. Je n'ai pas eu le temps.

Elle me regardait avec un petit air ironique.

- Ah bon ? Je compte si peux pour toi que t'as déjà plus de temps à me consacrer. Juste un petit mot entre deux rendez-vous ?

Alerte rouge. Putain, elle me testait. Et je ne trouvais pas quoi répondre. Je jure que mon cerveau turbinait à cent à l'heure, voire beaucoup plus, mais j'arrivais pas à me concentrer. Trouver un truc original à dire. Quelque chose de drôle, de spirituel. N'importe quoi, vite.

- Euh...

- Allez, je te fais marcher. Au fait, tu t'appelles comment ?

- Pascal. Et toi, Roxane. C'est écrit sur ton badge.

- Oh, c'est pas mon vrai nom. Mais j'aime bien. C'est plus classe que Julie ou Stéphanie, non ?

Tu parles si je le sais que c'est pas ton vrai nom. C'est moi qui te l'ai donné, tu te rappelles ? T'étais à poil et t'avais les nichons recouverts de pinces à linge. Mais je suis content que tu l'apprécie.

- C'est à cause de la chanson de Sting ?

- C'est qui Sting ? Devant ma mine interloquée, elle pouffa. Non, rien à voir. C'est plus ancien.

- L'épouse d'Alexandre alors ?

Ça, c'est le truc que je ne peux pas m'empêcher. Il faut que j'étale ma science. Pour un peu, je lui sortirai la fiche Wikipédia avec la chronologie complète.

- Quand même pas si ancien que ça. Tu t'y connais en histoire grecque ?

Une seconde, j'ai cru voir une petite lueur méfiante dans le regard. Mais bien sûr je me faisais des idées. Ou bien c'était parce que, à chacune de ses paroles, je me la rappelais nue, m'obéissant au doigt et à l'œil. Faut que j'arrête de penser. Que je me concentre sur l'instant présent. Juste le présent.

- Non. Enfin juste un peu. En première, notre prof d'histoire faisait sa thèse sur Alexandre le Grand. Enfin, l'influence de la légende d'Alexandre sur le Moyen Age, un truc comme ça. En tout cas il nous en parlait sans arrêt. Philippe, Olympias, Aristote, Bucéphale et bien sûr Roxane. On y avait droit à chaque cours. Dommage que c'était pas au programme.

Ça c'était vrai. Elle dû sentir que j'étais sincère car elle me sourit à nouveau. Pas longtemps, une seconde peut-être. Puis, elle tourna les talons :

- Bon, désolé, faut que j'y aille. Sinon, Roxane, c'était ma grand-mère. A plus.

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⏰ Last updated: Jul 03, 2017 ⏰

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RoxaneWhere stories live. Discover now