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Je me suis réveillé en sursaut à 03H20. Si je m'en souviens si bien c'est parce que mon premier geste avait été de vérifier l'heure sur mon portable. J'avais la bouche sèche, un épouvantable mal de crâne, et mon cœur battait tout rompre. Je me suis levé tout de suite et, à peine étais-je sorti du lit que je me précipitais vers mon ordinateur. J'étais horrifié à l'idée qu'elle avait pu rester toute la nuit à terminer la tâche imbécile que je lui avais laissée ! Qu'est-ce que j'avais donc dans la tête ! Si ça se trouve, elle était allongée morte de fatigue sur son plancher ! Et si elle s'était perforé l'intestin en s'escrimant avec cette saloperie de balayette fichée dans l'anus ?

Je l'imaginais agonisant toute seule dans son petit appartement, complètement nue et maquillée comme une pute. Et avec pour seule compagnie une webcam. Au fait cela m'a fait penser que je n'ai jamais vu une fille aussi seule qu'elle. Elle n'avait même pas un chat, un canari ou un poisson rouge pour lui tenir compagnie. Et si jamais elle était gravement malade ? Ou blessée ? Dans ce cas, elle pourrait rester des heures à agoniser toute seule. Ça doit être horrible de quitter le monde ainsi, perdue toute seule, et sans aucune dignité ! En plus, si elle était morte, on pourrait mettre des mois à retrouver son cadavre.

L'espace d'une seconde, je me suis dit que, s'il lui était arrivé quelque chose, la police m'interrogerait et que je pourrai être accusé de meurtre. Je me souviens avoir eu la vision d'un inspecteur de série télé se grattant la tête en visualisant la « scène de crime » et puis celle du geek de service examinant l'ordinateur. Puis de la police défonçant ma porte avec un bélier et envahissant mon appartement avec leurs fusils à visée laser, leurs grenades lacrymogènes, leurs gilets pare-balles, leurs protège-épaules et tout le fourbi. Je m'en suis immédiatement voulu d'avoir pensé à ma petite personne et aux petits malheurs qui pourraient m'arriver. Mais c'était trop tard, le mal était fait et je me suis méprisé encore plus que d'habitude.

D'ailleurs, je ne pouvais plus m'empêcher d'y penser : les ricanements des flics quand ils découvriraient son cadavre, les questions des enquêteurs. Ils demanderaient à voir les photos, les films que j'avais gardés. Ils se rinceront l'œil et m'appelant « mon cochon » ou « mon petit saligaud ». Et ensuite les journalistes, les articles moqueurs, la une de « Détective », les allusions graveleuses. Et pire que tout, les « elle l'avait bien cherché » des commentaires en ligne. Je savais déjà que je ne pourrais pas le supporter.

Au fait, s'il lui était arrivé quelque chose, comment est-ce que je ferai pour prévenir les secours ? Je n'avais pas de nom, pas d'adresse, pas de numéro de téléphone. Rien. Certains jours je me demandait même si elle était bien réelle, si je n'étais pas en train de devenir fou. Et si tout ça n'était qu'un effet de ma propre frustration, de mes années de solitude et ma perte de tout espoir ?

J'ai remué frénétiquement la souris pour quitter l'écran de veille et j'ai pesté quand l'ordinateur m'a demandé mon mot de passe. Pourquoi fallait-il que je mette des mots de passe partout, et si compliqués en plus. 18 caractères, avec des chiffres, des lettres, des symboles... Le genre de truc que seul un inadapté comme moi est capable de retenir.

Enfin, je l'ai vue sur l'écran. Elle n'avait pas coupé sa Webcam et n'était pas allée se coucher. Elle était assise sur le sol, toujours entièrement nue, les bras enserrant ses genoux et son front posé sur eux. Était-elle endormie ? J'ai crié :

- Roxane !

Je l'ai vue avec soulagement émerger de son demi-sommeil. Elle avait l'air au bout du rouleau. Surprise aussi car, dans ma précipitation, j'avais oublié d'activer le logiciel qui modifiait le son de ma voix. Mon dieu, qu'allait-elle penser en entendant une voix juvénile et mal assurée à la place de celle du vieux pervers que j'avais concoctée tout exprès pour elle.

Comme toujours, dans les situations d'urgence, mon cerveau s'est mis à fonctionner à cent à l'heure. Était-ce l'heure de vérité ? Fallait-il cesser ce jeu imbécile et lui dire ce qu'il en était vraiment ? Lui expliquer que le vieux pervers n'avait jamais existé et qu'il n'y avait qu'un gentil garçon, un peu niais et effroyablement maladroit, un brave type qui était amoureux d'elle. S'excuser pour ce que j'ai fait, lui dire de ne pas s'en faire, que toutes les photos, les vidéos, seront détruites ? Enfin, bon, peut-être pas toute, mais promis juré, je ne garderai rien qui ne puisse être montré sans honte. En tout cas, que jamais, jamais, je ne m'en servirai pour lui faire du mal.

Certes, je ne la reverrai sans doute jamais plus. Je finirai ma vie seul, rêvant chaque jour de la retrouver, passant mes soirées à rêvasser devant son visage en fond d'écran. Mais au moins, j'aurai fait quelque chose de bien.

Ce débat intérieur n'a pas duré longtemps. Une seconde, deux tout au plus. Et, encore une fois, j'ai pris la décision la plus lâche.

- Bon, allez, Roxane, retourne à ta niche. Va te coucher et soit en forme pour demain. J'en ai pas fini avec toi.

Et j'ai fermé la connexion.

Immédiatement j'ai eu honte. Et j'ai supprimé toutes les images que j'avais d'elle. J'étais comme enragé, sans même savoir contre qui diriger toute cette rage. Moi ? Cette prétendue « Roxane » ? Tous les types et toutes les années qui m'ont humilié, ignoré, moqué depuis mon enfance ? Contre mes collègues de boulot ? Contre mon seul amour de jeunesse, Sylvie, une garce qui m'a plaqué après moins de cinq minutes de flirt ?

Bien sûr, toute cette colère était injustifiée. Et c'était plutôt la fatigue et la frustration accumulée depuis mon premier contact avec Roxane qui en était la cause. Mais tout y est quand même passé ! J'ai mis toutes les photos, toutes les vidéos à la corbeille, que j'ai vidé ensuite, puis j'ai utilisé un logiciel spécialisé dans l'effacement de données, puis j'ai défragmenté mon disque dur. Personne, et surtout pas moi, ne pourra jamais les récupérer.

RoxaneWhere stories live. Discover now