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Bon, maintenant que je vous ai confié mon petit secret le plus inavouable, maintenant que vous savez presque tout de mon amoureuse secrète, maintenant que je vous ai exposé en long et en large mes complexes d'adolescent attardé, maintenant que nous sommes devenus presque intimes, je peux bien, cher lecteur, vous avouer quelque chose : j'ai toujours eu horreur de me faire couper les cheveux.

Bon, je sais bien que, dis comme ça, ça n'a pas l'air bien grave. Je vous imagine vous claquant les cuisses en vous esclaffant : « Mais d'où il sort, ce con ? ». Pourtant je vous jure que c'est vrai. C'est presque une phobie chez moi. Je ne supporte pas que quelqu'un me triture les cheveux.

Pas que je tienne particulièrement à ma tignasse, non. Je dois même dire que je m'en fiche un peu. Même si ma maman disait toujours que j'avais de beaux cheveux. C'était bien la seule à dire ça. C'est aussi la seule chose qu'elle trouvait beau chez moi, mes cheveux. En tout cas, moi j'ai toujours préféré avoir les cheveux très courts, limite coupe militaire. Si ça ne demandait pas tellement d'entretien je me raserai même le crâne, façon bouddhiste. Non, mon problème, c'est que la seule pensée d'avoir des paluches qui se baladent sur mon crâne me donne des frissons.

Même mon dentiste, quand il me fourre ses gros doigts dans la bouche et que ses gants à l'odeur de latex me donnent envie de vomir, même mon médecin traitant quand il me palpe partout et me répète pour la millième fois que je devrais faire un peu de sport, même le chien de mes parents quand il balade sa langue baveuse dans ma figure, et même tous les trois à la fois, ne m'incommoderaient pas autant qu'un petit quart d'heure chez un coiffeur.

Faudrait que je penser à aller voir un psychologue. Car tout en écrivant cela, je me dis que, à la réflexion, je suis peut-être encore plus bizarre que je ne le pensais. Enfin, peut-être pas. Si ça se trouve, tout le monde est bizarre. Je suis prêt à parier qu'on est tous bourrés de complexes, de tics, de phobies, de manies... Mais qu'on n'ose pas se l'avouer. Si ça se trouve, le monde est un immense asile de fou où on fait tous semblant d'être normal.

Mais bon, je m'égare. Je vais pas commencer à faire de la philo. Mon truc à moi, c'est les maths. Un et un font deux, deux et deux font quatre et le carré de l'hypoténuse est égal à la somme des carrés des côtés adjacents et opposés. C'est rigoureux, clair, net, sans appel. Rien à voir avec les concepts fumeux, les religions ou les inutiles réflexions sur le sens de la vie.

Et puis je ne vais pas non plus vous la jouer façon « génie de l'informatique mais inadapté social ». Car même si je suis plutôt bon dans mon boulot, je ne suis ni Lisbeth Salander (vous savez la punkette surdouée de « Millenium »), ni Sheldon Cooper ni aucun de ces putains de geek de série télé. Moi je ne suis pas capable de pirater une banque en cinq minutes chrono ni de détourner un vaisseau spatial avec mon téléphone portable.

Et je ne suis pas non plus inadapté social. Enfin pas tellement. J'envoie des cartes de vœux chaque année à ma famille, je dis bonjour aux voisins, il m'arrive de papoter devant la machine à café... Et si je n'ai pas d'amis c'est simplement parce que je travaille trop. C'est tout.

Enfin, voilà. J'ai mes pensées qui partent dans tous les sens aujourd'hui. Je suis heureux d'avoir retrouvée Roxane, bien sûr, mais il quand même quelque chose qui me chiffonne. Je n'arrive pas à m'enlever cette idée que quelque chose ne tourne pas rond. Mais je ne sais pas quoi. Faut dire que, parfois, je suis un peu lent à la détente. J'ai ce qu'on appelle « l'esprit de l'escalier » : Dans une réunion, les bonnes idées, les bons mots me viennent quand tout le monde est parti et que je suis dans l'escalier qui me mène à mon bureau. Alors je me dis que j'aurai dû dire ceci, j'aurai dû proposer cela... Mais c'est trop tard car, au lieu de cela, je suis resté muet et on m'a pris pour un imbécile.

RoxaneWhere stories live. Discover now