8

3.5K 83 4
                                    

Samedi matin. Je me réveille avec une de ces putains de gueule de bois ! Pourtant j'ai pas bu une seule goutte d'alcool. D'ailleurs je ne bois quasiment jamais.

J'ai envie de faire un footing. C'est un peu compliqué parce que, en tant normal, je déteste courir. En fait, je déteste le sport en général. Le sport qui fait transpirer les joggeurs le dimanche matin dans les parcs ou s'escrimer des types bronzés sur de drôles de machines. Et aussi le sport à la télé, celui que les mecs normaux regardent en sirotant des bières, en se goinfrant de chips et en se lançant des plaisanteries grasses et viriles. Et même le sport des jeux vidéos, celui qui permet à des ados boutonneux de se prendre un instant pour des stars du foot et s'imaginer, à la place de leur graisse abdominale, des muscles parfaitement dessinés. Dans un placard je déniche une veille paire de baskets et un survêtement informe, je mets mes écouteurs sur mes oreilles et mon smartphone dans la poche et c'est parti.

Arrivé en bas de mon immeuble, je décide d'écouter un vieil album de Calle 13. Je ne sais pas si c'est une musique adaptée pour la course à pied, mais j'aime bien. L'accordéon d' Eduardo Cabra commence à débiter son reggaeton et moi à trottiner lentement. Très lentement même. Pourtant, même à cette vitesse de petit vieux, je dois m'arrêter, à bout de souffle, après seulement quelques centaines de mètres. Je marche une minute ou deux puis je recommence à trottiner. Je me sens parfaitement ridicule, je suis fatigué, j'ai mal à la tête, mais j'ai besoin d'oublier un moment l'autre tarée.

Mon téléphone manque de tomber de ma poche alors je me résous à le tenir en main. De toute manière ce n'est pas grave : je transpire à peine et, à la vitesse où je vais, il ne peut pas m'arriver grand-chose. Mon problème, c'est surtout le souffle. Pourtant je ne fume pas. Je n'ai même jamais essayé. Je me rends compte que je n'ai rien pris à boire et je me rappelle avoir entendu quelque part que c'est très important de bien s'hydrater. Enfin, sans doute pas pour deux ou trois kilomètres de course. Et puis je n'ai pas déjeuné. J'aurai peut-être dû avaler quelque chose, ce n'est pas bon de faire des efforts physiques à jeun. Peut-être aussi aurais-je dû faire quelques étirements avant de courir ?

Arrivé au parc, je n'en peux plus. J'ai mal aux poumons, j'ai les jambes lourdes et des renvois acides. Alors je décide de terminer en marche rapide. Je passe devant un groupe d'ados qui rigolent. Je ne sais pas s'ils se foutent de ma gueule à cause de ma tenue ou s'ils rient pour autre chose. D'habitude, je suis intimidé quand je vois des jeunes en bande mais, aujourd'hui, ça m'est complètement égal. Je passe devant eux comme s'ils n'existaient pas. Et les rires cessent.

Quand je marche, mon cerveau turbine à cent à l'heure. Depuis toujours je fonctionne comme ça. Mes meilleures idées je les ai eus en me baladant et en me parlant à moi-même. Qui a dit que les pensées valables viennent en marchant ? Aristote ? Voltaire ? Je ne sais pas mais, parfois, je suis tellement pris dans mes pensées que je parle à voix haute et que les gens me regardent bizarrement.

Dans mes écouteurs, j'entends René Pérez qui m'encourage :

Atrévete, te, te, te

Salte del closet,

Destapate, quítate el esmalte

Et je me remets à penser à la foldingue. Je crois me suis mis dans un sacré pétrin avec elle. Ce n'est pas simplement un fantasme à la con genre philosophie dans le boudoir ou 50 nuances de je ne sais plus quoi, mais une véritable pathologie. Qui donc de sensé s'infligerait volontairement des coups à faire bleuir ses fesses ? Qui de sensé se montrerait complètement nu devant un inconnu ? Et pourtant, je n'ai aucune envie de l'abandonner. Je me sens un peu responsable. Bien sûr, ce n'est pas moi qui suis allé la chercher, je ne l'ai ni obligé ni même incité à se montrer à poil, mais je ne peux quand même pas la laisser faire ça devant n'importe qui !

Et puis, je ne veux surtout pas la perdre. L'idée m'est devenue insupportable. Je sais bien que je fais une bêtise et qu'un jour je devrais en payer le prix. Tant pis, ce qui doit advenir...

En bon intellectuel coincé, je me dis que je dois élaborer une stratégie. J'ai toujours fait ça. Face à un problème, je me fixe un but à atteindre, je recense les contraintes, je fais l'inventaire des ressources dont je dispose et je prépare un plan d'action. C'est ce qu'on m'a appris à l'école, et c'est comme ça que j'ai toujours travaillé. Je m'assoie sur un banc et je commence à dicter des notes à mon Smartphone.

Contraintes : fantasmes masochistes. Eviter les blessures. Pas de rencontre physique. Imaginer des trucs sans danger pour elle. Se concentrer sur le cérébral.

Ressources : Pas grand-chose. Ah, si, je suis un très bon technicien.

La solution m'apparu clairement. Continuer de lui faire croire que j'étais un vieux salopard sadique et, sans qu'elle ne remarque rien, retrouver son nom et son adresse. Ce serait la première étape. Après, je suivrai les conseils de la chanson. J'oserai quitter mon vernis protecteur, j'arrêterai de me cacher dans mon placard et je m'envolerai pour la rejoindre. Et on vivra heureux jusqu'à la fin des temps.



RoxaneWhere stories live. Discover now