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S'il y a une chose que je déteste par-dessus tout, c'est qu'on me traite de geek. Ok, je bosse dans l'informatique. Ok, je suis un matheux, j'aime les jeux vidéo et je passe trop de temps sur mon portable. Ok, je ne suis pas franchement sportif et je suis plutôt du genre introverti. Mais sachez que j'ai rien à voir avec tous ces poseurs qui se croient à la pointe de la technologie moderne parce qu'ils ont vu trois épisodes de « Big bang theory » à la télé. Ou bien parce qu'ils jouent à Candy Crush sur leur téléphone portable. Ou parce qu'ils savent envoyer des tweets.

En tout cas, ce n'est pas parce que j'ai le profil « geek » qu'on peut systématiquement me saquer lors des promotions sous prétexte que – selon mon employeur – programmer ne serai pas pour moi un travail mais un véritable jeu. Et aussi parce que – par définition – je serai quelqu'un d'asocial, incapable de travailler en équipe et complétement à l'ouest pour tout ce qui est relationnel. Depuis que je suis sorti de l'école et que je me défonce pour cette boite, je vois systématiquement les mecs beaux parleurs et bien fringués me passer devant. Une fois j'ai essayé de mettre un costume, pour voir. Tout ce que j'ai réussi, c'est d'être encore plus ridicule que d'habitude.

Au bureau, mon pire ennemi, s'appelle Kevin. Rien que son prénom de débecte. Ce type est un pauvre con, il ne comprends rien à rien, il ne glande rien de la journée – à part surfer sur internet mais je ne pense pas que ça a quelque chose à voir avec le travail qu'il est censé faire. Et c'est ce minable qui est systématiquement crédité de toutes mes idées. Faut dire que, je ne sais pas pourquoi mais, à chaque fois que je lance une idée en réunion, tout le monde me regarde avec de grands yeux ahuris. Et la semaine suivante, Kevin propose la même chose et là, tout le monde applaudi. On le félicite pour son investissement, pour son imagination et tout et tout. Et moi je reste le vilain petit crapaud que personne ne comprend.

Pour autant je ne ménage pas mes efforts. J'ai toujours mis un point d'honneur à ne jamais être en retard dans mes projets. On me demande une statistique ? Je la fais dans l'heure. Mais visiblement ça ne marche pas. Mes collègues pensent : « s'il l'a faite aussi vite, c'est que c'était facile ».

Si encore il y avait des perspectives d'amélioration. Mais non, visiblement, je suis destiné à rester sous-payé et surexploité le reste de mon existence. Du moins tant que je resterai dans cette boite.

J'ai bien menacé une fois de démissionner. Tout ce que cela a provoqué, c'est un haussement de sourcil amusé de mon chef de service. Visiblement, il ne m'en croyait pas capable. Ou il se disait que des comme moi, il y en a plein les rues et que je serai remplacé en quelques jours. Par un ingénieur plus jeune, plus motivé et qui travaillerait pour encore moins cher que moi. Alors j'ai laissé tomber.

Dans mon immeuble aussi, je suis le « geek » de service. Celui à qui on apporte son ordinateur portable le vendredi soir et qui va passer cinq ou six heures à le débarrasser des virus, spywares et autres saloperies qu'on y a installé. Gratuitement, bien sûr. On me demande aussi conseil pour télécharger des films, pour effacer ses traces quand on était sur un site un peu trop crade... Et je m'estime heureux si, en récompense, j'ai un petit merci. Je dois avoir une tête d'esclave.

Il était à peine 7 heures du matin et je ruminais comme d'habitude tout cela en établissant des scénarios de vengeance. Un jour je les niquerai tous. Kevin, je le passerai bien au fil de l'épée. Tout comme mon chef de service, le directeur, le responsable des ressources humaines... Même les secrétaires et la standardiste. Tous. Ils ne perdaient rien pour attendre. Je me consolais en imaginant des supplices plus horribles et plus raffinés les uns que les autres. Cela me consolait un peu, bien que je savais, bien sûr, que jamais je n'aurais été capable de les mettre à exécution.

Tout en sirotant mon café en rêvassant, je consultais négligemment mes mails. Beaucoup de spam, comme d'habitude. De la publicité pour des sites pornos, des offres de voyages à l'autre bout du monde, un bon de réduction pour l'achat de chaussures en ligne... C'est alors que je tombais sur la photo d'une fille complètement nue.

RoxaneWhere stories live. Discover now