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Je me suis réveillé avec une sacrée gueule de bois. Je me demandais encore comment j'avais pu être aussi odieux. Mais bon, en même temps, elle l'avait bien cherché non ? Mademoiselle voulait des sensations fortes, du fantasme, du sexe bien dégueu ? Mademoiselle rêvait de s'évader de sa petite vie de caissière et de jouer à la pornstar ? Mademoiselle cherchait de l'érotisme, de l'authentique, du vécu ? Ben moi je n'ai fait que lui rendre service. Je n'ai rien à me reprocher.

Car la petite séance pipi d'hier soir a été particulièrement dure. Accroupie au-dessus de son verre à moutarde, elle n'y arrivait pas. Et plus elle se crispait plus je lui hurlais dessus, la traitant de pute, de sale petite traînée, de sac à foutre, de suceuse de queues au kilomètre... J'étais moi-même surpris de mon vocabulaire ordurier. La lecture assidue de bouquins érotiques et la quantité astronomique de vidéo pornos que j'ai visionné ces derniers mois y étaient bien sûr pour quelque chose, mais comment avais-je bien pu faire pour en retenir autant ? Surtout que je les débitais naturellement, avec autant d'aisance que si j'avais été élevé dans un bordel.

Par moment, je m'écoutais l'insulter comme si j'étais le spectateur d'une snuff movie. J'étais à la fois fasciné par la violence des insultes et attendri par la détresse de la fille. J'avais envie de la voir s'humilier encore plus, de la voir pleurer, supplier. Et en même temps je voulais qu'elle soit sauvée par un genre de super-héros qui arriverait directement de l'espace pour la sortir de ce cauchemar. Mais comme Superman semblait être occupé ailleurs, je me mis à l'insulter plus encore.

Dans son regard, je retrouvais ma propre détresse quand, adolescent, le prof de gym me hurlait dessus parce que je n'étais pas foutu de tape correctement dans un ballon. Et, avec lui, tous les autres joueurs se moquaient de moi. Je me revoyais le nez en sang à la sortie du collège ou affalé par terre après un énième croche-pied.

Finalement, cette pauvre fille qui essayait désespérément de pisser devant moi, c'était moi, enfant. Et tout ce que je trouvais à faire c'était de lui crier des saloperies de répliques tout droit sorties des pires films pornos. Je lui ai fait boire de grands verres d'eau, tapoter sa vessie, s'appuyer sur le ventre... Mais rien n'y faisait. Ça ne voulait pas venir.

Au bout d'une heure environ, j'ai bien vu qu'elle en avait assez. Elle voulait arrêter. J'aurai dû en rester là, fermer la Webcam, lui dire d'aller se coucher. Ou mieux, j'aurai dû en profiter pour arrêter cette folie, la laisser dégoûtée pour longtemps des fantasmes sado-maso et la laisser retourner à une gentille vie normale, avec une sexualité vanille. J'aurais dû lui dire qu'elle n'était pas faite pour ça, qu'elle devait laisser tomber, aller pleurer un bon coup contre l'épaule de son petit papounet et passer à autre chose. J'aurai dû mais je ne l'ai pas fait.

Complétement aveuglé par la méchanceté délirante qui me possédait, je lui ai dit que j'avais tout enregistré. Des heures de films, de photos, dont je n'hésiterais pas à me servir au besoin. Je lui ai dit qu'elle était ma pute, que j'avais investi dans son éducation et que maintenant elle avait intérêt à me rembourser. Qu'elle ne s'en tirerait pas comme ça, que j'avais des relations, que je connaissais des gens, que quoiqu'elle fasse je la retrouverai et que je pourrirai tellement sa vie qu'à la fin elle me supplierait de la laisser devenir sa gagneuse.

Je lui ai dit que je la vendrai pour des partouzes sado-maso, qu'elle avalerait des litres de spermes, que je tatouerai ma marque sur son cul. Que sa vie, c'était moi désormais. Que j'étais son Maître, son Dieu, son cancer. Que son cul, sa chatte, sa bouche m'appartenaient et que j'en userai et j'en abuserai autant que je voudrais.

Le truqueur de voix devait rentre mes paroles encore plus horribles. Je voyais des larmes couler sur ses joues et son regard devenir fou. Le jeu allait trop loin mais je ne pouvais plus m'arrêter. C'était comme si je me shootais à la vulgarité. Chaque insulte, chaque menace en appelai d'autres. Je ne me contentais plus de répéter des trucs entendus çà ou là, mais j'en inventais d'autres. Je crois, que si elle avait été près de moi, j'aurai pu la frapper. Pas à la manière d'un jeu libertin, non, la cogner pour de vrai, comme un maquereau qui corrige une fille récalcitrante. La boxer, la savater, lui exploser sa petite gueule de sainte martyre.

Je ne sais pas combien de temps ça a duré. Longtemps, c'est sûr. Finalement, épuisé, je me suis enfin rendu compte de ce que je faisais, j'ai fermé mon ordinateur portable et je me suis endormi comme une masse.

Tout ça c'était hier. Une éternité. Une sombre et triste éternité. Mais ce matin, le soleil brillait, les oiseaux chantaient dans le parc et je suis allé tout guilleret chez la gentille fleuriste. Elle était toute mignonne avec ses taches de rousseur.

- Alors, comment ça c'est passé ? me demanda t'elle.

- Mal. En fait, ça ne s'est même pas passé. Elle a refusé mon bouquet.

- Oh mince ! Catégoriquement ?

- En fait je me suis dégonflé. Mais elle a vu les fleurs. Et elle n'avait pas l'air si fâchée que cela.

- Alors vous savez, ce qu'on dit : « patience et longueur de temps... » Si vous voulez mon avis, elle vous teste. Retournez la voir, insistez doucement. Si elle veut vous revoir, elle saura vous le faire comprendre. Et dans le cas contraire, croyez-moi, vous vous en apercevrez aussi !

Elle avait raison. D'ailleurs c'était pour cela que j'étais dans sa boutique. Cette fleuriste, Marlène, était devenue ma conseillère matrimoniale, mon Cupidon féminin. Elle m'a conseillé une petite rose toute simple, dans une housse de cellophane. Et ça ne m'a presque rien couté. Moi, à sa place, franchement, j'aurai vendu le truc le plus cher de la boutique.

Je n'ai pas attendu Roxane longtemps. Il y avait à peine deux ou trois minutes que j'étais posté devant la superette qu'elle était déjà sortie. Elle m'a lancé un petit sourire, a poussé un soupir, s'est adossée au mur et, tout en levant sa main pour que je vois bien son alliance, elle a secoué son index de droite à gauche, pour me dire « non, non, non ». Mais ce n'est pas son alliance que je regardais. Ni son index. C'était les marques sur son poignet.

RoxaneWhere stories live. Discover now