Chapitre 34

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Dante


Ça m’énerve ! J’ai bien vu que je lui ai fait de la peine… Mais personne n’est censé avoir de l’ascendant sur moi ! Elle en a… Et ça m’agace ! Ce n’est pas de sa faute, mais de la mienne. Je suis fautif de m’être attaché à elle. Je ne peux plus me mentir indéfiniment. Céleste n’est pas uniquement spéciale, elle compte pour moi. Elle n’a rien fait pour cela, et pourtant, je tiens à elle. Mais je ne sais pas si je dois me réjouir ou me désoler de cette situation. Je sais qu’elle est blessée à cause de moi ou indirectement… De plus, nombreuses sont les vampires qui me tournent autour et si elles sentent que Céleste est une menace, elles n’hésiteront pas à l’éliminer, la jugeant illégitime pour leur Roi. Et puis qu’est-ce ce qui m’a pris de l’appeler leannan ? J’ignore pourquoi j’ai dit ça. Sur le coup, esclave de mon désir, ça m'a semblé si naturel et pertinent de le lui dire.

Je souffle profondément comme si cela allait aider à alléger les problèmes qui pèsent sur mes épaules, ma poitrine, et mon cœur… Pour me changer les idées, je m’assieds à la table de la cuisine où une pile de documents m’attend et commence à les étudier. Sur les coups de 21 heures 30, moi qui d’habitude peux me vanter d’être si efficace, je n’ai pratiquement pas avancé. Céleste hante mes pensées et ces rapports concernant la protection de nos frontières territoriales me semblent bien futiles par rapport à la peine que je lui ai causée et bien fades par rapport au charme voluptueux de son corps. Bon sang, le moins que l'on puisse dire c’est qu’elle n’a rien à envier à qui que ce soit ! Elle est diablement bien faite. J’ai déjà vu, touché, son corps nu, une fois, quand elle s'est évanouie près de la baignoire ; c'était peu après qu’elle ait découvert ma vraie nature. Je l’avais alors trouvée magnifique… Mais les circonstances ne permettaient que l’on pousse cette exploration plus loin… Tout à l’heure, rien ne pouvait la cacher, debout devant moi.

Sa poitrine a une taille parfaite, généreuse, mais pas trop, et ferme. Je n’ai pas pu m’empêcher de remarquer ses tétons qui se sont dressés, tendus par le froid, devant moi comme s’ils me narguaient. J’ai failli lui sauter dessus comme un animal, mais j’ai trouvé la force de résister. Je savais qu’après, elle m’aurait détesté. Je l’ai donc dévorée du regard, mais visiblement ça ne m’a pas suffi. Je voulais sentir son petit corps contre moi, sa peau plaquée contre la mienne, je voulais en découvrir chaque parcelle avec mes lèvres et ma langue, je voulais être en elle, l’entendre pousser des cris de jouissance grâce à mes coups de reins… Je voulais devenir sa drogue. Je voulais lui être indispensable pour qu’elle ne me quitte jamais. Mon désir était si intense que j’avais peur de la blesser. Je n’arrivais pas à regarder ailleurs malgré son regard suppliant. Elle était trop belle. Ne dit-on pas que les œuvres d’art sont faites pour être contemplées ?

À présent, l’horloge murale affiche 22 heures 00 et Céleste n’a toujours pas reparu. Elle veut peut-être rester seule, mais ça ne se passera pas comme ça. Le début de notre escapade a si bien commencé, je ne la laisserai pas se terminer sur une mauvaise note ! Et il faut qu’elle mange, elle a déjà été assez affaiblie par ma faute. Je pars donc en direction de la cuisine, sors quelques ingrédients du frigo, puis commence à réfléchir à la façon de m’y prendre, comme si la réussite d’une préparation culinaire dépendait de la résolution de l’équation mathématique la plus compliquée du monde… D’ailleurs, tout cela est difficile à comprendre pour moi, je n’ai jamais eu besoin de cuisiner en deux mille ans d’existence, je n’ai même jamais posé la main sur un ustensile de cuisine, alors tout cela me paraît aussi étrange qu’un rituel de magie blanche. Mais, enfin, comme dit Céleste : il doit sûrement y avoir un début à tout, faute de savoir s’il y aura une fin un jour…

Ne sachant pas quoi préparer, j’essaye de faire au plus simple. Des œufs, je vais faire des œufs – même si elle en a déjà mangé ce matin. Au bout de dix minutes, le temps qu'il me faut à peu près pour m'apercevoir que les cinq œufs ont brûlé, je verse la préparation obtenue au-dessus de l’assiette, où elle tombe dans un bruit peu ragoûtant. Bon, c’est toujours mieux que rien. Et c'est nourrissant, je suppose, c'est l'essentiel. J'embarque l’assiette sur un plateau avec une pomme et de l’eau, monte et entre dans la chambre.

Céleste est recroquevillée en boule au milieu du lit et les battements calmes de son cœur ainsi que sa respiration régulière m’indiquent qu’elle dort. Elle me fait penser à un petit animal blessé. Je pose le plateau sur la table de chevet et m’installe doucement à ses côtés.

— Céleste… Réveille-toi.

Après plusieurs tentatives, elle finit par ouvrir paresseusement les yeux. Elle me regarde sans trop me voir, les yeux perdus dans le vide. Mais rapidement elle sursaute :

— Qu’est-ce que tu fais là ?

— Je suis venu t’apporter à manger. Tu n’es pas descendue de la soirée et je me suis dit que tu devais avoir faim…

À en juger par ses yeux ébaubis encore troublés de sommeil, elle n’en croit pas ses oreilles. Moi-même, j'avoue que j’ai du mal à comprendre ce qui m’arrive. Elle se redresse dans ses draps et je l’imite en me relevant pour place le plateau sur ses genoux. Elle réalise alors qu’elle ne rêve pas.

— Tu as cuisiné pour moi ? s’exclame-t-elle.

— Oui, j'ai essayé, mais je ne suis pas sûr de moi au niveau du goût du plat ; pour tout dire, je ne sais même pas si c’est comestible… J'espère juste ne pas avoir commis un crime contre la gastronomie !

Elle rit et, malgré mes mises en garde, n'hésite pas un seul instant avant d'empoigner la fourchette et de piquer dans l'assiette un bout de bouillie d’œufs cuits,  ce qui me ravit de satisfaction. C’est mon tout premier essai culinaire et, s'il ne marquera clairement pas l'histoire de la gastronomie, j'espère au moins qu'il demeurera gravé dans sa mémoire. La nourriture dans la bouche, elle commence à mâcher prudemment, puis s'arrête ; je vois s'étirer les traits de son visage en une grimace, Céleste tousse abondamment en se tenant la bouche, c'est à peine si elle résiste à l'envie de tout recracher dans sa main.

— C’est si mauvais que ça ?

— Non, non ! Pas du tout ! Merci beaucoup.

Pour donner davantage de crédibilité à son mensonge effronté, Céleste arrache un sourire à son masque de dégoût et entreprend de porter une deuxième bouchée à ses lèvres, comme si de rien n'était, mais tenant à en avoir moi-même le cœur net, j’attrape la fourchette de ses doigts fins et délicats et gobe la portion à sa place. OK, c’est immonde. Je ne pourrais même pas décrire le goût. Rien à voir avec le plat que j’ai mangé ce matin. Je grimace immédiatement comme elle, ne pouvant même pas me résoudre à avaler. J’ai envie de vomir, alors que je sais très bien que pour un vampire cela n'existe pas ! Nous ne connaissons pas ce que les humains appellent « nausée », de même que tous les autres désordres liés au fonctionnement de l'organisme. Pourtant, Céleste a été prête à le manger sans rien laisser paraître, ou presque, pour me faire plaisir. Sa gentillesse me touche… C’est désarmant.

— Tu n’aurais pas dû te forcer à ce point ! C’est ignoble ! Tu aurais pu tomber malade ou faire une intoxication alimentaire !

— C’est pas si mauvais… cherche-t-elle à me rassurer, gênée.

— C’est ignoble, tu veux dire !

Elle me fixe sans répondre, avant d’exploser de rire. Sur le coup, je suis vexé, mais très vite cette bouffée d'orgueil se dissipe pour faire place à un fou rire. C’est tellement rare que l'on rie ainsi tous les deux, que je ne sais plus si j’avais déjà vécu ça auparavant. Le ton un peu plus grave de cette pensée me ramène au sérieux, tandis qu'elle continue à foudroyer de son rire le calme de la pièce, la quiétude du chalet, le silence plat des environs. Elle se moque de moi ? Une idée superbe me vient pour me venger de la plus douce des façons. Je la plaque sur le lit et m’allonge sur elle, en faisant attention à ne pas l’écraser. Je fais courir ma main le long de son bras pour la détendre. Ses beaux yeux vert émeraude fixent les miens. C’est une femme qui n’a pas besoin d’artifices pour être magnifique et, en cet instant, je profite de la sentir contre moi, libre, naturelle. Ses longs cheveux roux sont éparpillés en de grosses boucles soyeuses et douces sur le lit. Ses lèvres rosées sont un peu gonflées… Quelle irrésistible gourmandise !

— Qu’est-ce que…

Elle n’a pas le temps de me répondre que je plaque violemment ma bouche contre la sienne, affamé. Je dévore chaque millimètre carré de ses fins morceaux de pêche, l’embrassant langoureusement, caresse sa langue de la mienne, ses bras chauds, son ventre, puis descends mes lèvres le long de sa gorge. J’ai tellement envie de la mordre… Je suce la peau de son cou. Elle gémit et je grogne, fier et excité de ses réactions.
Soudain un énorme fracas se fait entendre dans la cuisine. Je me relève immédiatement alors que Céleste ouvre de grands yeux surpris, semblant ne plus savoir où elle habite… Je vais tuer celui qui a osé me couper l'appétit !

Envoûte-moi ...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant