Chapitre 4

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Hier, j'ai accepté sans trop réfléchir, mais à présent, je me demande si c'est vraiment une bonne idée d'accepter son rendez-vous. Sur le moment, je me sentais redevable, si ce n'est pas vulnérable – il venait quand même de me sauver la vie –, mais à présent je suis angoissée et songe qu'il serait plus sage d'annuler. Mais à quel numéro de téléphone suis-je censée l'appeler ? Ah, les hommes qui nous donnent rendez-vous à dîner sans même nous avoir soutiré notre numéro de téléphone sont cent fois plus redoutables que ceux qui passent leur temps à essayer de l'obtenir avant d'entreprendre quoi que ce soit.

Bon sang ! Mais qu'est-ce qui ma pris ? Ce n'est pas que je trouve ce type déplaisant, loin de là, mais je ne connais rien de lui, même pas son prénom ! Qui me dit que ce n'est pas un psychopathe ? Bon d'accord ! Je me fais des films : si c'était un psychopathe il ne m'aurait pas sauvé la vie pour ensuite me la prendre sauvagement À moins qu'il soit un vrai psychopathe justement ? Non, non, non, je ne peux pas avoir l'esprit aussi tordu que ça, sans quoi c'est moi la névrosée ! Ma tête est pleine de questions, de contradictions et de doutes. De toute façon, je n'ai pas le choix, il va falloir les affronter, puisque je ne peux pas décommander. Alors, autant convertir cette agitation en énergie positive : je me décide à me préparer.

L'effet de l'eau chaude sur mes muscles parvient à me détendre instantanément. Je me dirige ensuite vers la penderie de ma chambre pour choisir une tenue. Je ne veux pas avoir l'air dune de ces filles superficielles qu'il m'arrive de croiser, mais pas non plus paraître négligée ou porter quelque chose de trop court pour l'occasion – car je ne sais toujours pas dans quel type d'endroit il a prévu de m'emmener.

Mon choix sarrête finalement sur une robe très simple, verte, de la même couleur que mes yeux ; elle descend juste au-dessus du genou, est légèrement échancrée dans le dos, avec de petites bretelles. En ce qui concerne le décolleté : on ne peut être plus raisonnable. Je me maquille très légèrement avec un mascara noir et un gloss aux légères teintes vermeilles, en faisant bien attention à ma lèvre inférieure qui est fendue en deux et où une petite croûte de sang coagulé sest formée, accompagnée dun joli bleu. Bref, une bouche à tomber par terre. Au moins, je suis sûre qu'il se passera de m'embrasser au premier rendez-vous. Je sèche ensuite rapidement mes longs cheveux roux. Jai la chance davoir de belles boucles naturelles, ce qui m'exempte de réaliser des coiffures extravagantes.

Il est 19 heures 20 quand je sors de la salle de bain. Je suis prête et même en avance. Parfait ! Enfin, jignore si cest vraiment parfait ; avec le temps que jai devant moi, je vais probablement le passer à me lamenter et à cogiter en boucle sur les raisons qui m'ont poussée à accepter ce rendez-vous. En fait, jaurais mieux fait dêtre en retard. Je me demande comment va se dérouler cette soirée Pour essayer de penser à autre chose, voire de ne pas avoir à penser du tout, jallume la télévision et commence à zapper.

Mon choix se porte un programme traitant des vétérinaires soccupant danimaux sauvages. Ça tombe mal. Ce reportage me rappelle de tristes souvenirs. Quand jétais plus jeune, je croquais la vie à pleines dents, et cet enthousiasme rejaillissait sur mes études, que je réussissais avec brio. De classe en classe, je renouvelais à chaque fois l'expérience de la passion de l'apprentissage, du plaisir de découvrir, d'explorer à travers les livres et retenais facilement tout ce que je lisais. J'avais ainsi réussi à gagner une dizaine de concours scientifiques en me surpassant à chaque fois, et ce alors que je n'avais même pas encore 18 ans.

En ce temps je songeais encore à devenir vétérinaire. Quel déclic dans mon existence m'avait fait préférer cette carrière plutôt que celle d'ingénieur, qui semblait pourtant me tendre les bras, je l'ignore, si ce n'est que la perspective de sauver des vies m'attirait particulièrement, et il va sans dire que jaffectionnais de loin le mutisme affectueux des animaux au bavardage cruel et pervers des humains. Mais, hélas, le régime sans pitié de la vie a rapidement opposé ses contraintes à mes illusions, et peu après ma majorité je fus dans l'obligation dentrer dans le monde du travail. Cest un chapitre éprouvant de ma vie, dont je préfère souvent enfouir le souvenir pour ne pas m'exposer à la souffrance qu'il m'inspire.

Envoûte-moi ...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant