Chapitre 6

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Je fus réveillée, le matin, par quelqu'un qui semblait appeler mon nom. Encore dans un état de semi-conscience, je n'arrivais pas bien à savoir si elle venait de la réalité ou du pays des rêves. Lorsque mes paupières s'ouvrirent enfin et que j'aperçus une silhouette devant moi, je fronçai d'abord les sourcils. Je clignai plusieurs fois des yeux pour me permettre de récupérer une vision plus claire et entrouvrit la bouche en reconnaissant la personne. Loïc. Qu'est-ce qu'il faisait là ? L'endroit était caché, personne ne m'avait jamais vu ici ! Et lui, le dernier à qui je souhaitais faire savoir ce qu'il m'arrivait, il était là ! Qu'allait-il penser de moi maintenant ? Hier, il découvrait une fille seule, à pleurer toutes les larmes de son corps. Aujourd'hui, il la voyait endormie dans la rue. Demain, qu'est-ce que ça allait être ? 

Il me tendit sa main, que j'empoignai pour me lever. Je n'osais pas poser mon regard sur lui, ni même essayer de me justifier. J'avais terriblement honte. La seule chose qui me passait par la tête à cet instant était de fuir. Fuir en emportant cette image horrible avec moi. Cependant, après quelques secondes de calme plat, il prit la parole.

« Tu as dormi ici..? Demanda-t-il.  »  

En guise de réponse, je ne lui offris qu'un hochement de tête. Les mots étaient coincés dans le fond de ma gorge, formant une énorme boule. Je ne pouvais pas parler, parce que j'allais pleurer encore, parce que j'allais maudire le ciel de m'avoir offert cette vie. Et il ne méritait pas ça. Il était tellement gentil, tellement souriant, que je ne voulais pas nuire à son bonheur. 

« Tu veux bien me raconter ? »

Je finis par le regarder, tandis qu'il serrait toujours ma main. Je ne l'avais pas lâché. Je n'avais pas eu la force de la lâcher. Il s'assit sur les pavés, m'incitant à faire de même. Je m'exécutai, reprenant la place que j'occupais il y a de ça deux ou trois minutes. Son attention ne s'était pas décrochée, il attendait des explications. Un lourd soupir traversa la barrière de mes lèvres. D'un côté, j'avais envie de lui dire. De l'autre, j'avais peur. Mais, en récupérant tout le courage qui me restait, je parvins à commencer et à tout lui réciter. 

« Mon père et ma mère ont divorcé peu de temps après ma naissance et depuis ce temps-là, je vivais avec elle, mon beau-père et mes deux demi-frères. Il y a trois ans, ma mère est décédée de manière inattendue d'une maladie. Je baissai doucement le ton, avant de reprendre. Je n'avais que quinze ans. Mon beau-père a prétendu ne pas avoir assez d'argent pour nous élever tous les trois, alors c'est moi, l'aînée, qu'il a mise dehors. Au début, c'était vraiment difficile. J'étais devenue indépendante contre mon gré et je n'avais pas la maturité d'une adulte. Je ne pouvais pas trouver de travail, mes diplômes étaient inexistants et il ne m'avait pas donné un seul billet pour acheter quoi que ce soit. J'ai rencontré Ethan par hasard dans la rue, et on est vite devenus amis. Compagnons de galères, en quelques sortes. Mais.. hier, quand je me suis réveillée, il n'était plus avec moi. Il était parti sans me prévenir et je me suis retrouvée toute seule. C'est pour ça que.. tu m'as vu pleurer hier. C'était comme un pilier pour moi, un bras gauche. »

Wow, ça y est. Il savait tout. Je le regardai, remarquant que ses yeux étaient toujours fixés sur moi. Il semblait réfléchir, peut-être parce qu'il ne savait pas comment réagir. Je m'apprêtais à me lever, mais il me tira vers lui, avant de me serrer dans ses bras. Je fus surprise par cet élan d'affection, ou de compassion, et lui rendit son étreinte. Personne ne s'inquiétait pour des gens comme moi d'habitude. Enfin si, un peu quand même, puisqu'ils déposaient parfois une petite pièce et nous lançaient des sourires compréhensifs. Mais en vérité, ils ne comprenaient pas vraiment. Lorsque tu ne subis pas, tu ne comprends pas. Pourtant avec lui, tout semblait différent. 

« Tu vis dans Bruxelles depuis.. trois ans ? Questionna-t-il en se détachant. 

-C'est ça. Répondis-je, avant de compléter. Je fraude, pour pouvoir manger, prendre une douche et avoir des vêtements à peu près potables. »

Quelle humiliation. Tout ce que j'entreprenais, j'en avais conscience, que ce soit en bien ou en mal. Néanmoins, de le dire à voix haute, ça me faisait réaliser à quel point c'était bas. Je passai mes mains sur mon visage, sentant la vitesse de mon pouls plus haute qu'à la normale. Loïc attrapa mes poignets, ses prunelles vertes fixées sur moi. 

« Je vais t'aider. Je n'accepte aucun refus. Tu vas venir avec moi, je ne te promets aucun miracle, mais je ferais de mon mieux, pour te sortir de ce calvaire. » 

HomelessWhere stories live. Discover now