Melek

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La première porte lorsque l'on arrive dans le couloir c'est là que je suis entrée : dans la chambre parentale. A côté d'un lit double, une table de nuit bordeaux, j'ouvre le premier tiroir. Le premier tiroir est ouvert. Je soulève l'ancienne boîte pleine de bijoux aux valeurs sentimentales. La boîte est lourde. En-dessous, il y a cette petite enveloppe blanche. Il n'y a rien d'inscrit dessus pour indiquer son contenu. Dedans, quatre polaroids. Je saisit le premier pour le détailler de plus près. Qu'est-ce-que quatre photos font cachées dans cette enveloppe, à l'intérieur de la table de nuit du côté où dort Billie ? Pourquoi ne sont-elles pas dans les albums photos de la famille ? Pourquoi je n'ai jamais vu cette enveloppe ? Est-ce bien ou mal si je l'ouvre ?

C'est Melek. Au moment de sa deuxième mort. A l'instant où la vie a quitté son corps. Elle a les yeux ouverts mais vides. Son visage est déformé par le manque d'air. Sa peau vire au bleu. Autour tout est sombre si ce n'est que l'on devine des tuyaux. La vraie mort. La mort agonisante, souffrante. Celle qui torture l'être avant qu'il lui échappe. Pas celle qui passe entre les mains du thanatopracteur. Pas celle qui est habillée. Maquillée. Soignée afin qu'on puisse la regarder en face. C'est Melek, qu'on débranche, et qui décède. L'image est brute, atroce, horrible.

Je pense que Billie a immortalisé ce moment pour le vivre à travers un appareil et ne jamais en garder un souvenir réel.

A toi mon ange gardien. Jamais je n'ai fait mon deuil.

Quelle chose plus absurde que la mort d'un enfant. Le soir à ma fenêtre je lève la tête, et l'étoile la plus brillante j'imagine que c'est le reflet de ton âme. Je sais que tu as eu mal. Je veux que tu saches que je ne t'aurai pas laissé souffrir, je t'aurai laissé partir. Je ne suis pas égoïste je ne t'aurai pas gardé pour soulager ma conscience. Quitte à passer pour une meurtrière. Quitte à fâcher la Terre entière.

Ton âme s'est enfin envolée de cette enveloppe charnelle qui était une prison malade. Mais s'il avait fallut pousser ton fauteuil : je l'aurai fais avec fierté. Je suis fière et j'ai toujours été fière que ma petite sœur soit dès la naissance une guerrière. Si je pouvais avoir le choix je recommencerai tout et je prendrai ta place. Pourquoi moi, je ne tombe jamais malade ? Ce corps en bonne santé je n'arrive pas à en profiter. Alors je me plaît à le torturer. Je n'arrive pas à considérer ma place comme une chance. Elle m'étouffe cette place, elle m'étrangle. Et plus j'ai souffert de ton absence plus mon cœur s'est durcit au monde extérieur. Si bien que je vis en étant morte. Je suis tellement vide que je n'arrive même pas à être en colère, à réclamer vengeance de ta souffrance.

Tu étais ma seule chance d'aimer.

J'ai essayé de mourir pour toi. Pour que tu aies la preuve que je n'aime pas vivre si tu n'es pas là. Que rien n'a plus aucun sens, que je n'ai plus jamais été heureuse. J'en ai marre de faire semblant d'être fille unique. Non je n'ai jamais été fille unique. Tu existes. Tu es née. Tu es ma petite sœur. Je t'ai dans mon cœur, tout mon cœur est à toi. Même toute cette vie je te la donne je te l'offre. Tu me manques. Les secondes sont des heures, rien ne passe la douleur. Je me noie, je suffoque, je suis perdue, tout m'angoisse. J'aimerai souffrir autant que tu as souffert : j'aurais voulut faire de ta vie le paradis, la mienne est un enfer. Tu es gravée dans ma chair. Chaque année qui passe me tue. J'ai peur d'oublier le son de ton rire, l'odeur que tu as laissé dans tes peluches. J'ai peur d'aimer un autre enfant que toi : j'ai peur de m'habituer à son poids au creux de mes bras, et d'oublier le tien. J'ai peur que ta présence m'échappe à jamais, j'aimerai croire qu'il y a une justice et qu'elle nous sera rendue. J'aimerai mourir de chagrin tellement j'ai versé de larmes, tellement elles m'ont vidé.

Toi et moi nous sommes liées à jamais. L'innocence et la pureté enfantine corrompues par un sort fatal. Nous sommes condamnées à la pénitence éternelle de la souffrance. Je te retrouverai je le sens dans mon être, j'aurai cette chance de revoir ton visage. Sinon je préférerai n'avoir jamais existé.



Et également à mes parents, qui ont fait le choix le plus difficile qui soit.

À chaque fois que je pense à toiWhere stories live. Discover now