6. Trous de mémoire

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Les paroles d'une chanson furent la première chose dont je me rappelais au réveil. Je n'avais pas encore ouvert les yeux, mais la mélodie résonnait dans ma tête comme si je n'avais jamais quitté la piste de danse. Je me rappelai ensuite du corps d'un homme contre le mien et de ses mains qui enserraient vigoureusement ma taille. Ce souvenir fit immédiatement naître en moi un désir qui me vrilla les reins. Qui était l'homme avec lequel j'avais dansé hier soir ? Aaron ? À cause de la grande quantité d'alcool ingurgitée la nuit précédente, ma mémoire me faisait défaut. J'espérais cependant que les morceaux du puzzle finiraient par se reconstituer avec du temps et un peu d'insistance. Je me recroquevillais sous les couvertures en souriant bêtement. J'étais excitée et je ressentais un profond sentiment de bien-être. J'ignorais d'où ces sensations tiraient exactement leurs origines, mais je refusais d'ouvrir les paupières de peur qu'elles ne s'échappent.

Un nouveau souvenir refit surface. Alors que nous dansions, l'homme s'était penché pour glisser quelques mots à mon oreille :

— Tu es une fille exceptionnelle. Ne laisse personne te dire le contraire, même pas un connard dans mon genre.

J'ouvris brusquement les yeux en réalisant que cette voix n'était pas celle d'Aaron. Ces mots n'avaient pas été prononcés par lui. Il n'était même pas là hier soir. Josh était là en revanche. Il était celui qui avait prononcé ces paroles. Cette voix était la sienne et je l'avais pris pour son frère durant mon délire éthylique. Prise de panique, je tâtonnais en direction de la table de chevet pour allumer la lampe. Cependant, je ne trouvais ni table de chevet ni lampe. Le jour filtrait à travers le store baissé, et les meubles que je parvenais à distinguer autour de moi me parurent familiers, mais il ne s'agissait pas de ma chambre. La réalité me heurta comme un coup de poing en pleine figure : j'étais chez Josh. Je connaissais bien cet appartement pour y avoir passé de nombreuses soirées avec lui, Lauranne et Olivia.

— Que s'est-il passé ? Émilie, souviens-toi par pitié ! m'invectivai-je en martelant ma tête avec mes poings comme si cela pouvait m'aider à retrouver la mémoire.

La fin de soirée était constituée de nombreuses zones d'ombre, mais un nouvel élément du tableau se dévoila brusquement. Josh et moi sortions d'un taxi. Il me soutenait, car j'avais du mal à marcher dans mon état, avec mes talons aiguilles de huit centimètres aux pieds. Nous étions devant la porte de mon immeuble.

— Où sont tes clés ? me demanda-t-il.

— Je ne me rappelle pas, lui répondis-je complètement saoule.

— Donne ton sac, m'ordonna-t-il. J'ai besoin de tes clés pour ouvrir.

— Non, rétorquai-je. C'est mon sac et personne à part moi n'est autorisé à fouiller dedans.

— Alors sors tes clés toi-même ! Je ne partirai pas tant que je ne t'aurai pas vu rentrer chez toi.

— Elles sont dans ma veste de tailleur.

— Et où se trouve ta veste de tailleur exactement ?

— Probablement au vestiaire, gloussai-je.

— Tu veux dire à l'Aréna ?

Je me mis à rire de plus belle.

— Très bien, conclut-il. J'ai compris.

Nous avions repris le taxi. Josh avait donné l'adresse de son domicile et une fois arrivés, il m'avait installée dans sa chambre pour la nuit. J'avais visiblement eu la force de me changer, car je portais un de ses t-shirts en guise de pyjama. Je me levai pour ouvrir le store. Ma robe était posée sur un fauteuil près de la fenêtre. Je me changeai. J'avais envie de me rendre aux toilettes et de prendre une douche. Seulement, pour profiter de la salle de bain, je devais quitter la chambre et traverser le salon. Josh devait certainement s'y trouver puisqu'il avait dû passer la nuit sur le canapé. J'aurais donné n'importe quoi pour éviter de le croiser. Pourtant, je ne pouvais pas rester cloîtrée ici pour le restant de mes jours dans le seul but de lui échapper. Si seulement Lauranne avait été là, mais elle avait dû rentrer directement chez elle après sa réunion. Il ne servait à rien de repousser l'inévitable. Je pris mon courage à deux mains et quittai la chambre.


Une odeur de café vint me chatouiller les narines. Sous la Senseo, une tasse encore fumante patientait. Le propriétaire des lieux lisait un journal assis à la table du petit déjeuner où du jus d'orange, de la confiture et des croissants attendaient d'être dévorés. Mon estomac manifesta sa reconnaissance par de petits gargouillis enthousiastes. Mon cerveau, quant à lui, jugeait peu recommandable de s'attarder.

— Bonjour Émilie. Bien dormie ? demanda mon hôte sans quitter son journal des yeux.

— Bonjour, fis-je gênée. Oui, j'ai bien dormi.

— Installe-toi, me proposa-t-il en me regardant enfin et en désignant une chaise en face de lui.

Sans tenir compte des suppliques de mon estomac, j'inventai une excuse pour prendre la fuite :

— C'est très gentil, mais je me sens un peu barbouillée. Après avoir utilisé ta salle de bain, je compte rejoindre Olivia. Elle a un double des clés de mon appartement.

— Comme tu voudras, répondit-il. Je pensais qu'un bon petit déjeuner te ferait du bien, mais je peux comprendre tes réticences.

Qu'insinuait-il par « réticences » ? Faisait-il référence à mon estomac barbouillé ou de ma gêne en sa présence à cause de notre danse d'hier soir ?

— Au fait, merci de m'avoir hébergée cette nuit.

— Je t'en prie, fit-il avec un sourire en coin. En même temps, je n'avais pas vraiment le choix. L'idée de te laisser dormir devant la porte de ton immeuble m'a brièvement traversé l'esprit, puis je me suis rappelé que nous avions enterré la hache de guerre hier soir et que Lauranne m'en aurait voulu si je t'avais abandonnée comme ça.

— En même temps, je comprends, répliquai-je. Si les rôles avaient été inversés, j'aurais pensé la même chose. D'ailleurs, je t'aurais certainement laissé pourrir devant ta porte sans me préoccuper des conséquences.

— Je tâcherai de ne pas oublier ce que tu viens de me dire la prochaine fois que tu t'enivreras au point de ne plus savoir comment tu t'appelles, plaisanta-t-il.

Sa remarque m'arracha un rictus. En une nuit, discuter avec lui était devenu beaucoup plus simple. Cependant, je ne voulais pas m'éterniser et après avoir pris une douche, je quittai l'appartement pour rejoindre Olivia.

Le mariage de mon meilleur ennemiWhere stories live. Discover now