1. Cocktails et robe moulante

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Je jetai un œil à l'horloge accrochée au mur juste au-dessus de la porte de mon bureau. Trois minutes interminables me séparaient du week-end. Depuis une demi-heure, j'essayais vainement de me concentrer sur la correction des épreuves du magazine que j'éditais pour le compte de la salle de spectacle dans laquelle je travaillais en tant que chargée de communication. Je relisais chaque phrase sans vraiment faire attention à leur sens. La soirée qui m'attendait dans quelques heures monopolisait mes pensées et je n'arrivais pas à m'intéresser à autre chose. Comme presque tous les vendredis soir, j'avais prévu de retrouver mes deux meilleures amies, Lauranne et Olivia, pour passer un moment entre filles à siroter des cocktails en philosophant sur l'amour, le sexe et le sens de la vie, avant de terminer la soirée à l'Aréna, notre boîte de nuit attitrée dans le Vieux-Tours. Le patron du club s'appelait David. Nous avions fait sa connaissance lorsque nous étions lycéennes alors que le frère d'Olivia, Isaac, s'occupait de la rénovation des locaux. Nous étions rapidement devenus proches le jour où Isaac et lui avaient officialisé leur relation. Selon son humeur, David s'amusait à nous surnommer les « inséparables », les « trois sœurs » ou les « drôles de dames ». Ce dernier surnom était particulièrement bien trouvé, puisqu'à la manière de Lucy Liu, Cameron Diaz et Drew Barrymore, notre trio était composé d'une Asiatique, Olivia, d'une blonde, Lauranne, et d'une rousse, moi. Toutefois, la comparaison s'arrêtait là, car nous étions loin d'être des espionnes surentraînées, sorties tout droit de l'école de police pour affronter les dangers les plus périlleux afin de combattre le mal. 

Olivia, qui avait toujours aimé la mode, la vente et la gestion, avait ouvert sa propre boutique de vêtements en ligne où elle vendait notamment la marque qu'elle venait tout juste de créer. Elle l'avait nommée Taola, qui signifiait « Embrase-le » en coréen, car la Corée du Sud était le pays d'origine de mon amie. Avec ce nom, elle voulait souligner le caractère libéré et sensuel de ses tenues. D'ailleurs, la robe-tailleur que j'avais prévue de porter pour la soirée était issue de sa marque. Elle était à la fois chic et sexy avec de la dentelle au niveau des épaules et le dos nu. Malgré le fait que nous fussions en janvier, il me tardait d'être à ce soir pour pouvoir la porter. 

Lauranne, de son côté, était une artiste-peintre dotée de beaucoup de talent. Depuis que je la connaissais, je l'avais toujours vu dessiner sur un coin de page pendant les cours ou dans son agenda durant les heures de permanence. Elle avait pris l'option art plastique pour le bac et avait eu la meilleure note de sa classe. Dans l'appartement d'Olivia ainsi que dans le mien, les tableaux qui ornaient les murs étaient tous ceux de notre amie. Elle maîtrisait toutes les techniques de peinture à la perfection et savait en jouer dans le but d'insuffler des émotions différentes dans chacune de ses œuvres. Elle occupait en parallèle un poste de secrétaire médicale, car elle ne pouvait pas encore vivre de son art. Cependant, j'étais sûre qu'elle deviendrait un jour une artiste renommée. Je les avais rencontrées quand nous étions en classe de seconde, treize ans auparavant, et je ne les avais plus quittées depuis. Les considérant comme ma seconde famille, je passais la majeure partie de mon temps libre à leurs côtés, comme c'était le cas ce soir, et j'avais hâte de les retrouver pour faire la fête.


Le temps passait avec une lenteur presque surnaturelle. Quand la grande aiguille s'approcha enfin du chiffre 12 de l'horloge, mon excitation atteignit son paroxysme. À 16 h 59, je me mis à ranger frénétiquement les feuillets éparpillés sur mon bureau. Les corrections pouvaient attendre lundi. À 17 heures, je passai mon manteau avant d'empoigner mon portable et mon sac à main, prête à partir. J'étais sur le point de passer la porte de mon bureau lorsque mon téléphone se mit à vibrer. Je lus le nom de Lauranne qui s'affichait sur l'écran et décrochai :

— Allô ?

— Allô Émilie ? fit mon amie avec une petite voix triste juste avant d'éclater en sanglots.

L'entendre pleurer me brisait le cœur. Malheureusement, je n'étais pas surprise. Il n'y avait qu'une seule personne capable de mettre Lauranne dans un état pareil.

— C'est à propos de Josh, n'est-ce pas ?

— Oui, m'avoua-t-elle entre deux plaintes. Il me quitte.

— Tu es chez toi ?

— Oui.

— J'arrive.

Adieu cocktails, robe sexy et délires entre filles. Joshua venait de tout gâcher encore une fois.

Le mariage de mon meilleur ennemiWhere stories live. Discover now