quarante-quatre

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« 7 janvier 2016, 18h04.


Mrs. Connor, la professeure de littérature, est venue me voir après son cours, et m'a demandé de rester pour discuter. Etant donné que je n'ai pas apporté l'essai qu'elle avait donné à faire pour aujourd'hui, je me suis sérieusement attendue au pire.

"Discuter de quoi ? De mes résultats ?" j'ai demandé.

"En partie. Enfin je veux surtout discuter de toi avec toi, Samantha."

"De moi ?"

J'ai eu droit à son incontournable regard grave, celui que nul ne peut soutenir. Elle m'a disséquée des yeux, si bien que je me suis presque sentie complètement désassemblée et inspectée sous tous les angles. J'étais comme nue, ôtée de la carapace que je m'étais efforcée de me forger ces derniers mois.

"Ecoute-moi Samantha, a-t-elle finalement prononcé après de longues secondes, ne crois pas que je n'ai rien remarqué. Ca fait maintenant un moment que tu n'écoutes plus en cours, que tu ne t'intéresses plus à la littérature.".

"Qu'est-ce qui vous fait dire que je m'y intéressais avant ?"

"Samantha, ne sois pas comme ça. Je l'ai vu, je l'ai senti dans tes copies, et je ne pense pas avoir tort. Mais dis-moi si je fais fausse route."

"Non, vous avez raison. Je suis vraiment désolée. Je ne sais pas ce qui m'a prise."

"Tu sais, je vois bien que quelque chose ne va pas. Il n'y a pas que dans mon cours que tes notes dégringolent, j'ai discuté avec mes collègues, et nous nous accordons tous sur la perte de ton attention, et de tes efforts. L'essai que j'avais demandé pour aujourd'hui, tu ne l'as pas oublié, n'est-ce pas ?"

Il était inutile de lui mentir plus longtemps. Mrs. Connor est une femme intelligente pour qui j'ai énormément de respect et que je considère secrètement comme l'un de mes modèles. Je ne pouvais que me résigner à lui être complètement transparente, et même si je n'avais pas opté pour l'honnêteté, elle aurait vu clair dans mon jeu.

"Non, c'est vrai, je ne l'ai pas fait."

"Je vois."

"Est-ce que vous comptez en parler à mes parents ?"

"Non, je te l'ai dit, je veux discuter de toi avec toi. Je veux que tu me dises ce qui ne va pas. Tu n'es ni une mauvaise personne, ni une mauvaise élève. Tu as du potentiel, tu es douée Samantha. Sauf que tu as baissé les bras, et ça te gâche. Tu ne peux pas abandonner, et surtout pas maintenant, il faut que tu continues de croire en toi. Moi, je crois en toi."

"Vous ne pouvez pas comprendre, Isabel."

J'ai pris sur moi pour ne pas éclater en sanglots sous ses yeux. Elle me disait tout ce dont j'avais besoin d'entendre, et pourtant, cela ne changeait rien au fait que je me sentais toujours aussi ratée que la veille. Cela ne changeait rien au fait que je ne trouvais ni la force, ni l'envie d'essayer, au fait que j'étais épuisée de ce Monde trop grand pour moi.

"C'est ce que vous pensez tous, elle a répondu calmement. Parce que vous ne savez pas ce que vous voulez, alors les autres non plus. Vous êtes incompris, seuls, voués à vous-même face à la cruauté du monde, c'est ça ? Samantha, si je dois bien t'apprendre une chose au cours de cette année, c'est que, oui, le monde est complexe et imparfait, mais au final, la seule chose qui peut t'empêcher d'avancer dans toute cette merde, c'est toi et rien d'autre. Il faut que vous arrêtiez tous de penser que tout est fatal, au contraire : tout se joue maintenant, à chaque instant, à chaque décision. Le destin ne tient presque à rien... Non, en fait, le destin, ça n'existe pas. Tu es la seule qui puisse façonner ta vie, il suffit de savoir ce que tu veux, et de faire tout pour l'obtenir. Alors bouge-toi le cul." »

SamanthaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant