34 ~ Doing someone's grief

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18 janvier

Les paroles prononcées par Luke au téléphone étaient les mêmes que celles d'il y a cinq ans. Toujours aussi cinglantes et dénuées de sens.

- Nous avons eu un accident.

Au fond, c'était quoi un accident ? Pour certaines personnes, ce n'est qu'un événement fâcheux qui viendrait perturber le cours d'une journée, comme briser un verre où encore rater le bus. Pour d'autres, un accident vient perturber le cours d'une évolution, comme un licenciement ou un enfant non voulu.
Pour d'autres, un accident change le cours d'une vie entière, tel un deuil qu'on arrive pas à faire ou un handicap qu'on découvre en se réveillant dans une chambre d'hôpital. Pour ma part, je crois avoir dans mon sac un peu de ces deux dernières causes, et une bonne part de pessimisme, aussi.

Pendant quelques secondes, je n'ai entendu que ces cinq mots qui étaient cruels et fourbes, cherchant à me détruire un peu plus que je ne l'étais déjà. J'avais peur de perdre encore l'une des seules personnes à qui, je devais l'avouer, je tenais vraiment.

Je venais de sortir du lit quand le téléphone avait sonné. La veille, je m'étais effondrée sur le matelas sans penser à personne d'autre qu'à moi et la nuit avait été réparatrice. Malgré tout, les nouvelles qui m'attendaient au réveil n'étaient pas plus réjouissantes.

J'en étais là à m'interroger sur la nature philosophique des accidents de la vie quand j'ai entendu Luke me dire :

- ... Michael est au courant. Il va passer te chercher pour que vous nous rejoigniez ensemble. N'aies pas peur OK ? Ça va aller, surtout ne panique pas.

Étrangement, alors qu'il croyait avoir besoin de gérer la situation à distance, j'avais l'impression d'évoluer à l'envers. C'était comme si mes émotions avaient décidé de se mettre en veille, et que mon cerveau avait pris le relai. C'était comme si je regardai la scène d'un point de vue extérieur. C'était reposant.

Dix minutes plus tard, Michael sonnait à la porte et me pressa de le suivre. Il avait garé une toute petite voiture jaune devant l'hôtel. Elle me faisait penser à la voiture de Andy, telle que le rouge me l'avait décrite. Ce dernier n'était plus très rouge, d'ailleurs, et le voiture n'était plus très jaune.

J'ai eu bien du mal à ne pas me jeter sur la réceptionniste de l'hôpital qui bafouillait des choses dans un changlais pas terrible. Heureusement pour elle que j'étais en fauteuil, parce que j'aurais piqué une crise digne de ce nom.

- Nous devons voir Mr Irwin, répétais-je sans cesse.

Elle me répondait une phrase qui ressemblait à :

- Oui.....Chambre.....Irwin.

Michael s'étranglait avec son écharpe tout en observant les patients qui circulaient autour de nous. Il ne m'était d'aucune aide, si ce n'est pour aller s'asseoir à côté d'une jolie chinoise, oubliant ses beaux discours sur la vie pour faire face à ses pulsions hormonales.

Nous avons attendû une quarantaine de minutes avant que Luke n'apparaisse. Le téléphone ne marchait pas, la secrétaire n'y mettait pas du sien, la salle d'attente n'en finissait pas de se remplir et je me serait bien arraché les yeux s'il n'avait pas surgi. Quand il a débouché au coin du couloir, nous cherchant des yeux, j'aurais juré avoir vu sa tignasse blonde entourée d'un halo de lumière divine. Si j'avais pu sauter sur mes jambes, je n'aurais pas hésité une seconde.

Luke avait l'air secoué, mais il n'avait rien de grave. Juste une petite égratignure au front et quelques coupures sur les mains, mais le choc l'avait pour le moins épargné.

Il a poussé mon fauteuil à travers un long couloir, puis nous a fait monter dans l'ascenseur. J'ai été heureuse de retrouver la façon dont Michael tripotait ses clés et celle dont Luke se rongeait les ongles. Ils se jaugaient du regard, ne sachant pas trop quoi dire avec moi entre eux deux.

- Putain, mec, vous êtes vraiment trop cons, finit par lâcher Michael en fourrant ses mains dans ses poches.

Luke lui jeta un regard noir et ouvrit la bouche pour parler, mais se ravisa au dernier moment, comme s'il venait de ravaler une remarque acerbe.

- C'est vrai quoi, continuait de déblatérer Michael sans se rendre compte que nous le fixions avec insistance. Vous vous êtes faits renverser par un bus ! Pourquoi crois-tu qu'on a inventé les passages piétons ? Bordel, ce n'est pas comme si c'était compliqué de différencier le vert du rouge !

- Michael, ordonnai-je, arrêtes ça. Les accidents, ça arrive à tout le monde.

Je voyais Luke bouillir en essayant de maintenir ses poings aux jointures qui blanchissaient tellement il serrait fort. Je posai une main sur son bras, il baissa la tête et croisa mon regard, que j'essayai de rendre suppliant.

Il se détendit, ses jointures reprirent leur couleur d'origine, et il dit, presque en souriant :

- Dit celui qui, quand on avait quinze ans et qu'on était bourrés, confondait le noir et le jaune.

***
Ashton était tout à fait lucide.
Une fois devant la chambre, les garçons m'ont dit d'entrer seule. Je n'étais pas d'accord, mais ils ont insisté, parce que d'après eux, j'étais la seule personne qu'Ash ait pu avoir envie de voir. C'est vrai qu'après s'être pris un bus, il faut bien trouver quelqu'un à qui raconter ses malheurs.

En fait, je l'ai vu, fragile et allongé sur ce lit en train de lire un atlas, et je me suis dit que je n'avais pas vraiment envie d'obéir à Martin. Et je me suis imaginé la conversation que j'aurais eu avec lui.

" - Il t'a fait du mal.

- Je sais, mais je ne peux pas me l'ôter de la tête, c'est comme une obsession.

- C'est un connard.

- Tu ne voudrais pas me laisser être heureuse ? Tu ne voudrais pas m'autoriser à vivre mon bonheur ?

- Je ne te le dirai jamais assez. Tu es mauvaise perdante, mais au moins tu te bats jusqu'au bout.

- Ça veut dire quoi ?

- Ce connard,  tu l'aimes où tu l'aimes pas ?

- ...

- Samantha ? J'attends.

- Ouais je l'aime. Je l'aime et je m'en fous. "

Je me suis approchée lentement sans lâcher son regard. Je promet que c'était comme au cinéma, (le fauteuil et le teint de fantôme en plus) et qu'il avait l'air de Kurt Cobain (ce même air paumé et en dehors du monde, les cheveux en bataille et les cernes sous les yeux.).

Je l'ai embrassé.

- Tu vas devoir faire ton deuil,  a-t-il dit, un sourire aux lèvres. Je vais t'y aider. Martin n'a pas le droit de t'empêcher de vivre. Tu dois le remettre à sa place.

J'ai acquiescé avant de rétorquer :

- Toi aussi tu as un deuil à faire.

Il a levé un sourcil, l'air amusé.

- Ah oui ? Lequel ?

- Celui de tes plans foireux pour me reconquérir.

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