1 ~ First one "Caffé"

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23 août

Ça faisait bien une heure que je poireautais dans cette queue interminable.

L'horloge vintage accrochée au mur annonçait neuf heures et je n'avais encore rien fait. Les premiers hommes d'affaires qui s'arrêtaient pour prendre un café arrivaient tous à cette heure de pointe tandis que j'étais en train de me rendre compte que j'avais opté pour le mauvais horaire.

Quand enfin j'arrivai devant la caisse, je commandai un caffé latte à la femme derrière le comptoir, visiblement de très mauvaise humeur. Rassemblant toute sa bonne volonté, elle esquissa un sourire en écrivant mon nom sur le dos du cup.

Je payai en liquide et allai attendre une énième fois ma commande au bout de la file.

Il y avait peu de personnes assises à l'intérieur du Starbucks. Les gens se contentaient pour la plupart de prendre leur commande et d'aller prendre l'air dehors où de partir au travail. L'air chaud de cette fin d'été rendait l'atmosphère étouffante et le peu de personnes restantes se rafraîchissaient le visage à l'aide des petits éventails offerts pour l'achat d'un menu petit-déjeuner.

Une vieille dame discutait au téléphone avec sa fille, vu la façon familière dont elle lui parlait. Deux jeunes étudiants travaillaient sur leur ordinateur et un homme en costard observait la foule en tendant le cou, comme s'il attendait quelqu'un.

J'aimais observer ces gens inconnus. Qu'auraient fait les deux jeunes si la vieille dame leur avait demandé de lui laisser la place pour brancher son téléphone ? Et qu'aurait fait l'homme en costard si je lui avais adressé la parole ? Qu'aurais-je représenté pour ces gens si nous nous étions connus ?

Un coup dans le dos a interrompu mes pensées. J'ai senti un liquide chaud se répandre sur mon t-shirt, quitte à me brûler s'il le fallait.

Je me suis retournée, prête à faire une scène à la personne qui avait osé tâcher mon précieux chandail et suis tombée sur un garçon d'une vingtaine d'années, un peu plus grand que moi, avec des fossettes et des yeux bleus.
Il a porté ses mains à sa bouche avec une expression catastrophée.
- Ex... excuse moi, a-t-il bredouillé, embarrassé. Je suis désolé, je... je ne... toi pas vouloir... euh...

- C'est pas grave, répondis-je, honteuse. Je partis chercher mon caffé en vitesse avant de sortir du restaurant sous le regard, soudain piqué d'intérêt, des autres clients.

***

Je refermai vite la porte à clé, de peur que quelqu'un m'ait suivie et me retournai face à tous les cartons empilés dans le salon de mon appartement. Je me suis appuyée à la porte et ai avalé une gorgée de mon caffé à présent froid avant de sursauter en entendant des pas dans le couloir de l'étage.

Une porte s'ouvrit et se referma sans que j'aie eu le temps de faire un geste. Rassurée, je suis allée dans la cuisine où j'ai ouvert le mini-frigo pour en sortir une bouteille de vodka et d'en verser quelques gouttes dans un verre.

Rassérénée par cet élan matinal, je me sentais prête à soulever des montagnes. Comme toutefois ce sentiment n'allait pas durer, je suis allée changer de t-shirt et ai commencé à déballer le premier carton.

***

Une heure plus tard, la chaleur se faisait de plus en plus étouffante et je suis sortie prendre l'air sur la terrasse.

Au pied de la résidence universitaire, un étage plus bas, se trouvait un groupe de jeunes de mon âge que je pouvais observer depuis mon balcon. Tout en allumant ma cigarette, je suivais avec intérêt leurs échanges rythmés par des rires et des cris. Le plus petit de la bande, manifestement meneur incontesté, avait des cheveux rouges et une mèche qui revenait sans arrêt sur son front. Il avait l'air malicieux de ceux qui savent où ils vont et de quelle façon ils vont réussir. Ses deux amis étaient moins exubérants. Ils lançaient des cailloux sur la fenêtre voisine de la mienne pour je ne sais quelle raison.

La fumée s'échappait de ma cigarette et je faillis me brûler les doigts en constatant qu'elle s'était entièrement consumée avant que j'aie pu tirer une seule fois dessus.

Dégoûtée, je pestai contre moi-même d'être aussi gaspilleuse. Si ma mère avait été présente, elle m'aurait sûrement reproché de fumer, et ensuite de me ruiner en paquets de cigarettes, puisque je n'en fumais à chaque fois que la moitié.

Tournée vers la rue, j'entendis la porte de la terrasse se refermer sous un coup de vent et me retournai précipitamment. Malheureusement, le rideau qui la maintenait ouverte s'est envolé, m'enfermant dehors par la même occasion. J'ai laissé échapper un juron particulièrement grossier qui fit se retourner l'un des garçons d'en bas. Il était blond, grand et je reconnu de loin les yeux bleus que j'avais croisés plus tôt dans la matinée.

C'était le garçon du café.

Il a dit un truc a son copain aux cheveux rouges et celui-ci a regardé dans ma direction en pouffant. Il a ensuite crié à mon intention :

- Salut ! T'es coincée dehors ?

J'ai seulement hoché la tête, méfiante et, pour la deuxième fois de la journée, honteuse.

Le seul de ses amis qui était resté silencieux est alors entré dans l'immeuble. Celui-ci était plus grand que les autres et avait des cheveux châtains bouclés. Je me souvins vaguement l'avoir vu quelque part, mais je n'ai pas cherché à savoir où. Deux minutes plus tard, la porte du balcon voisin s'ouvrait pour laisser entrevoir sa tête.

- Tu es toujours là, constata-t-il. J'arrive dans deux minutes.

Je ne savais pas ce qu'il allait faire et ne pouvait que regarder, impuissante, ses deux copains se moquer ouvertement de moi. Finalement, le premier bruit est venu de mon appartement, où la porte s'est ouverte de l'intérieur. Je suis rentrée et ai vu le garçon au cheveux bouclés qui se tenait contre le mur d'un air amusé.

- Cette porte se referme tout le temps. Fais plus attention la prochaine fois !

Il s'est ensuite dirigé vers la porte et, au moment de la franchir, il a demandé :
- Au fait, c'est normal qu'il y ait une bouteille de vodka sur la table de ta cuisine ?!

Il est parti en courant comme s'il avait eu honte de sa question, sans que j'aie le temps de lui répondre ni de lui demander comment il était rentré. Je suis juste retournée sur le balcon en calant la porte contre un carton et l'ai vu sortir de l'immeuble.

Avant de rejoindre ses copains, il s'est retourné et m'a aperçue. Il a agité la main, un petit sourire aux lèvres.


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