21 ~ Trip to Beijing

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10 janvier

Je m'étais toujours figuré les voyages en avion comme une torture interminable. Mais chacun ressent la vie différemment. Pendant ces heures de vol, j'ai pu écouter beaucoup d'albums, voir au moins deux films et surtout  dormir.

Ashton est souvent passé pour savoir si tout allait bien. Plusieurs fois, il a essayé de me dire quelque chose mais il s'est toujours ravisé au dernier moment. Il a insisté pour m'offrir à manger et regarder la fin "à la poursuite du bonheur" en ma compagnie.

- Tu sais pourquoi j'aime cette histoire ? m'a-t-il demandé alors que le générique de fin défilait sur mon écran.

Il avait les yeux cernés par le manque de sommeil et je me suis demandé depuis combien de temps il n'avait pas dormi.

- Pourquoi ? demandai-je, intriguée par sa devinette.

- Parce que le destin se porte toujours sur ceux qui n'y croient pas. Et qu'ils le veulent ou non, ils sont bien obligés d'admettre que rien n'arrive sans raison.

J'ai regardé droit devant moi pour réfléchir à sa réponse. Le temps que je trouve quelque chose à dire, il avait déjà disparu du siège voisin pour retourner à sa place.

L'avion atterrit à Hong-Kong sur les notes d'une chanson de Neutral Milk Hotel. J'enlevai mes écouteurs et cherchai Ashton du regard. Comme il n'arrivait pas, je me décidai à bouger. Mon sac à dos sur les genoux, je roulai vers le tunnel de l'avion quand je le vis. Il était adossé à la carlingue, près des toilettes, faisant du charme à une jeune hôtesse naïve et insousciante qui avait l'air parfaitement réceptive à ses beaux yeux verts. Prise d'une nausée soudaine, je sortis de la carlingue et me laissai rouler jusqu'au hall des arrivées.

Ashton arriva une demi heure plus tard, alors que je somnolais tranquillement dans mon fauteuil, ignorant les allées et venues des passagers et les annonces en chinois.

- Ça va ? Demanda-t-il en s'asseyant à côté de moi, me réveillant au passage.

Nous avions deux heures à attendre avant de prendre le prochain avion pour Pékin, mais je ne voulais pas les passer à me disputer avec Ashton.

- Bien, et toi ? Demandai-je, l'air de rien.

- Je sais que tu m'as vu, annonça-t-il avec une petite moue.

Je laissais planer un silence pesant.

- Tu fais ce que tu veux, finis-je par déclarer. Ce n'est pas à moi de te dicter quoi faire. Tu es adulte, après tout et nous sommes amis.

- C'est vrai ? demanda-t-il, le visage soudain illuminé d'un grand sourire.

Je haussai les épaules mais approuvait de la tête.

- Je pense, oui. Après tout, je n'ai pas envie qu'on se perde une nouvelle fois.

Ce n'est qu'en voyant ses yeux exorbités que je me rendis compte de ce que je venais de dire.

- Enfin, nous nous sommes perdus, puis retrouvés. Alors je n'ai pas envie de recommencer.

Ma déclaration venait de jeter un froid sur la discussion et je sentais à nouveau qu'Ashton avait quelque chose à me dire.

- En fait, je m'en fous, Ash. Tu fais ce que tu veux. Mais je ne veux rien savoir.

***
Quand j'étais petite, mes parents nous emmenaient souvent au marché le vendredi soir. Il y avait des marchands de tissus, de chapeaux, de glace et de fruits et légumes. Il y avait même des clowns qui nous fixaient bizarrement quand ma mère ne posait pas de pièce dans leur chapeau. C'est eux qui me faisaient le plus peur. 

En Chine, tout était plus grand. Les marchés, les tissus et même les clowns. Nous étions encore dans le hall de l'aéroport quand j'en ai vu un qui marchait sur des échasses et qui a du se baisser pour passer les portes automatiques.

Ashton ne m'avait pas adressé la parole de tout le voyage depuis Hong-Kong, et je n'allais pas m'en plaindre. Il me regardait avec un air gêné depuis qu'on était sortis de l'avion et se collait à mon fauteuil dans une attitude protectrice qui me mettait mal à l'aise. En bref, notre complicité avait tout simplement disparue. 

Nous sommes sortis de l'aéroport et nous sommes arrêtés un instant pour admirer le paysage. Le complexe se trouvait à l'extérieur de la ville et des plaines s'étendaient à perte de vue, sauf devant nous, où se dressaient une myriade de lumières qui faisait s'illuminer Beijing dans la lumière du soleil couchant.

Ashton transporta nos bagages jusqu'à un taxi en stationnement. Le conducteur l'aida à mettre les valises dans le coffre et m'invita à monter à l'avant pour occuper une place plus confortable à ma situation d'handicapée. Je soufflais de soulagement à l'idée d'être enfin séparée, par une vitre épaisse, d'Ashton et de son regard scrutateur.

Pendant les vingt minutes que durèrent le trajet, j'essayais de comprendre le conducteur du taxi qui me racontait quelque chose dans sa langue maternelle et je me maudis de n'avoir pas acheté un dictionnaire de chinois en prévision de notre voyage. Voyant que je réagissais pas à son discours, il finit par mettre la radio anglaise et j'esquissai un sourire en entendant une fameuse chanson d'Arctic Monkeys résonner dans l'habitacle.

En découvrant le paysage de Pékin, je pensais à Michael. Avait-il eu envie de découvrir de nouveaux paysages et de nous emmener avec lui ? La ville rayonnait, brillait de mille feux et de mille couleurs. Je regardai l'autoroute bondée la bouche ouverte, sans trop savoir quoi dire. Le bruit, les odeurs, la musique se mélangeaient. Il faisait chaud pour un mois de janvier, si bien que j'ai ouvert la fenêtre. Si Michael était là, il ne devait pas s'ennuyer.

Le taxi s'arrêta carrément en plein milieu d'une rue occupée par un marché nocturne. J'ai pu sentir les épices que ma mère adorait cuisiner et les larmes me sont montées aux yeux. Le chauffeur a sorti mon fauteuil ainsi que tous nos bagages du coffre et m'a ouvert la portière.

Sans rien dire, Ashton m'a prise dans ses bras pour monter les marches et je me suis laissée faire, essayant d'ignorer la colère qui montait en moi. Combien de fois avait-il porté des femmes dans ses bras, avant de les faire brusquement redescendre sur terre ?

L'hôtel était perché en haut d'un immeuble de quatre-vingt étages. L'ascenseur en verre nous offrit une vue panoramique sur la ville et ses monuments. J'étais exténuée, mais je ne pouvais m'empêcher de regarder cet endroit avec des yeux d'enfant le matin de Noel. Et à en croire la tête de mon compagnon de voyage, la vue emballait tout le monde.  C'était magnifique.

Ashton poussa mon fauteuil jusqu'à l'accueil situé au quatre-vingt-neuvième étage. Tout était fait de verre et un grand lustre en cristal trônait par dessus le comptoir. Une homme d'affaire lisait le journal et deux femmes discutaient en prenant le thé, malgré le fait qu'il n'était que dix-huit heures. Le réceptionniste nous donna la clé de la chambre, puis nous le suivîmes jusqu'à un autre ascenseur qui descendait. L'homme était de type occidental, européen même, avec les cheveux blonds cendrés et plaqués sur le crâne par une bonne couche de gel. Il m'observait sans rien dire, cherchant sûrement à savoir ce qu'il y avait de défaillant en moi, vu que mes jambes avaient l'ai valides et que je bougeais les bras normalement. Je soutenais son regard et me surpris à effleurer la main d'Ashton, qui attendait sans rien dire. Il attrapa mes doigts et les emprisonna dans sa poigne chaude. Nous étions tous les deux dans un pays inconnu. Même si j'étais en colère, il me protégerai quand même.

Nous ne nous sommes presque rien dit de la soirée. Tous deux étions éprouvés, autant mentalement que physiquement, et il n'y avait strictement rien à dire. Je ne sais pas vraiment à quel moment nous avons passé cet accord tacite, celui de se protéger l'un et l'autre, l'un de l'autre. En tout cas, en m'endormant ce soir là, à côté de lui, au quatre-vingt-deuxième étage d'un hôtel de Pékin, je me suis dit que nous avions peut-être eu raison  de se faire confiance.

Looking For SmokeWhere stories live. Discover now