10 ~ Tex

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9 novembre

- Bouges toi les fesses, Ashton c'est plus très loin, cria Michael qui nous attendait en haut du chemin. 

L'écho de sa voix se répercutant dans la vallée, Ashton grogna et pressa le pas.

- Tu vois que c'était pas difficile ! Souria-t-il à son ami lorsque ce dernier atteignit le haut de la montagne.

- Je suis crevé, réussit-il à articuler en s'asseyant sur une pierre qui bordait le sentier de randonnée. Il soufflait comme un bœuf.

Je l'étais aussi, mais il fallait admettre que Michael n'avait pas menti, le panorama en valait largement la peine. Nous étions au sommet d'une montagne et à nos pieds s'étendait une grande vallée coupée en deux par une cascade assez bruyante. En bas de la chute d'eau se trouvait un lac si bleu qu'on pouvait le comparer à une pierre d'azur.

- Mes parents nous m'emmenaient ici, quand j'étais gamin, souffla-t-il. J'habitais à Tungstène et on venait tous les week-ends. Ensuite ils ont arrêté, ils disaient qu'ils n'avaient plus le temps.

Je pensais aux révélations d'Ashton. Cet endroit devait sûrement rappeler sa sœur à Michael, mais il ne faisait même pas allusion à elle en parlant de son enfance. Je m'assis à mon tour sur un rocher.

-Je voudrais ne plus jamais avoir à repartir, annonçai-je, nostalgique, c'est vraiment un endroit unique.

Chacun se tut pour permettre aux autres d'entendre la symphonie de la nature.

- J'ai faim, interrompis Ashton, tandis que son ventre grognai en parfaite synchronisation pour annoncer qu'il avait besoin d'être rempli.

J'éclatais de rire et il me regarda d'un air consterné. 

- Tu ne rigoles que dans les moments gênants...

Je haussai les épaules.

- Je ne sais pas si tu a remarqué, mais il y en a de plus en plus.

Il me fit un sourire franc qui me mit du baume au cœur. Sur ce, Michael sortit des sandwiches et nous entamâmes notre repas en silence, bercés par le bruit de la cascade sous nos pieds.

" - J'aime pas la mayonnaise.

- Désolé, mais j'avais que ça. C'est grave ?

- Non, ça va? Je survivrai.

- Exact, on ne meurt pas de mayonnaise.

- Tu sais, Ash, je pense qu'on devrait s'inventer un code pour ce dont on ne veut pas parler. Quand c'est un sujet tabou qu'on ne veut pas aborder, on pourrait dire quelque chose qui stoppe direct, non ?

- Hum, ça peut-être une bonne idée. Tu veux quel mot ?

- Tex.

- Ça veut dire quoi ?

- Rien, mais ça sonne bien, Tex.

- D'accord. On parlait de quoi ?

- Oublie, c'est un sujet Tex."

Michael était à l'écart, plongé dans ses souvenirs et Aston grignotai le pain de son sandwich, le regard dans le vide. Je me remis sur pied et, malgré mes jambes ankylosées, je fis quelques étirements pour chauffer mes muscles. Ensuite, je sortis mon appareil photo et m'approchais du vide. Sous mes pieds, vingt centimètres de roches puis rien que de l'air. Si je tombais, c'était fini.

J'avais maintes et maintes fois envisagé l'hypothèse du suicide. Finalement, j'avais toujours renoncé. Je n'étais pas assez courageuse pour arrêter de vivre maintenant. Surtout pour ce que j'avais vécu. S'il en avait eu la possibilité, je pense que Martin aurait profité de chaque moment, et aurait vécu sa vie jusqu'au denier instant. Je me devais de faire pareil, rien que pour honorer sa mémoire.

N'empêche, ce vide me grisait, si bien que je failli perdre l'équilibre en me penchant sur la corniche. Si des mains ne m'avaient pas maintenue fermement sur le sol, c'en était fini de moi.

Je me retournai et croisai le regard de Michael qui me maintenait fermement au sol. 

- Faudra-t-il toujours que j'arrive au bon moment ou tu vas un jour arriver à te tenir loin de la mort ? demanda-t-il avec un sourire taquin.

- On n'est jamais loin de la mort, elle est à côté de nous en permanence, répondis-je. 

Aussitôt, toute couleur quitta son visage et son sourire disparu.

Je retournai m'asseoir sur mon rocher en ignorant le regard insistant du jeune homme aux cheveux rouges.

- Oh, une revenante ! dit Ashton, moqueur. Fais attention, tu es toute pâle !

Je lui décrochais un regard noir.

- Tex, marmonnais-je.

Il ne réagit pas, peut être avait-il oublié.

***
Je chargeai les tentes dans la voiture avec une pointe de nostalgie. Bientôt, nous allions devoir retourner en cours, Calum Hood ou pas Calum Hood.

Les garçons discutaient à voix basse, chacun une aile de poulet dans la main. Je les rejoignis et m'assis à côté de Michael.

- Vous avez prévu quoi pour le retour ? demandai-je en m'emparant d'un bout de viande.

- On va prendre la voie directe, l'autoroute. Nous devons rentrer, on a du boulot, répondit Ashton avec une pointe d'hésitation.

Je fis passer la viande avec une gorgée du whisky acheté la veille. Ashton détourna le regard et Michael alluma une cigarette. Le rouge n'avait plus de gêne à fumer devant son ami qui ne réagissait pas. 

- Ashton, je me demandais, commençai-je, comment as tu les clés de chez moi ?

Le jeune homme fronça les sourcils.
- Je ne les ai pas, pourquoi cette question ?

- Le jour où j'étais coincée dehors, tu as ouvert la porte par l'intérieur. Comment as-tu eu les clés de chez moi ?

- Ce n'est pas moi qui les ai, c'est Calum.

Je recrachait ma gorgée de whisky par terre et Michael poussa un cri de dégoût en voyant son t-shirt éclaboussé.

- CALUM A LES CLÉS DE CHEZ MOI ?!

Ashton hocha la tête, très sérieux.

- Avant que tu n'arrives, cet appartement servait à Calum de studio d'enregistrement. C'était une sorte de squat. Il voulait à tout prix percer dans la musique.

- C'est comme ça que tu es rentré, quand je suis restée coincée dehors ?

Le brun acquiesça.

J'étais dépitée. Non seulement Calum était de retour dans ma vie, mais en plus il me prenait en photo et avait les clés de chez moi. Mon existence était un cauchemar.

Peut-être qu'il m'avait cambriolée pendant mon absence. Mon appartement devait sûrement être dans un désordre indescriptible. Une seule solution. Je devais rentrer au plus vite.

- On y va ? Demandai-je en me levant brusquement, Ashton, tu conduis.

- Oui M'dame, dit-il en effectuant un garde-à-vous ridicule, essayant vainement de détendre l'atmosphère. Je cours, je vole !

Après avoir nettoyé les traces de notre passage et éteins le feu, nous sommes remontés dans la voiture.

Nous étions tous pressés de rentrer à la maison. Ashton démarra la voiture et pris la route alors qu'une fine pellicule de neige commençai à tomber sur la vallée de Tungstène.

Looking For SmokeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant