Mon Frère. (6/11)

Depuis le début
                                    

De retour à ma maison, qui était vide ces temps-ci, je n'avais pas de radio ou quoi que ce soit pour lire les cassettes. J'ai ressorti mon Walkman mais je n'avais plus de piles et je doute qu'il ait marché de toute façon. On a fini par aller dans la voiture de mon père pour utiliser le lecteur cassette de la radio. C'était une scène plutôt marrante, nous deux assises là dans une attente anxieuse.

Alors on s'est assises et on l'a écoutée presque en entier. Elle était vraiment de mauvaise qualité, il est possible que vous ne vous rappeliez pas à quel point le sifflement sur les cassettes était agaçant, mais en plus de ça il semblait que la personne qui avait enregistré se tenait loin du microphone ou un truc du genre, comme si c'était un enregistrement d'un enregistrement d'un enregistrement. Mais il n'y avait rien de particulièrement bizarre dessus. C'était juste une compil de musique psyché des sixties. Il y avait des chansons de Kaléidoscope, surtout Tangerine Dream, et il y avait des Beatles, évidemment, et d'autres trucs mais E. et moi n'étions pas trop trop fan de ce genre alors on a pas écouté jusqu'au bout. Plus tard, toute seule, je l'ai écoutée en entier mais il n'y avait rien de spécial sur cette cassette mis à part la qualité de l'enregistrement.

Mais c'est là qu'on s'est rendues compte que, comme la cassette s'appelait « échange », on était supposées laisser quelque chose en retour. Tu sais, laisser quelque chose dans le trou des toilettes, pour la personne qui l'avait mise là. Cette idée nous paraissait bête. Mais à l'époque l'école n'était pas finie et on avait rien d'autre à faire alors, armées d'une de mes nombreuses compils, qui étaient un de mes hobbys à l'époque, on est retournées au Miranda.


On a parlé sur la route et on s'est demandé quel genre de personnes pourrait laisser ces cassettes, et si elle (on s'est dit que c'était une fille, comme c'était dans les toilettes des filles) s'attendait vraiment à ce que quelqu'un trouve ça là. On s'est demandé si c'était une sorte d'expérience sociale d'étudiantes du lycée, en fait c'est ce que j'en ai pensé directement. E. avait sa propre théorie. Elle pensait que c'était une femme désespérée, qui vivait sa vie solitaire à cause de sa famille, qui avait laissé des cassettes cachées dans des endroits publics à travers la ville, et qu'elle vérifiait toutes les semaines, en espérant qu'une âme solitaire trouve une de ses cassettes et donne quelque chose en retour. Je suis à peu près sûre que c'était une projection de sa propre vie.


On est retournées au supermarché et, heureusement, aucune des personnes qui travaillaient là ne semblait nous reconnaitre, Miranda est plutôt en effervescence à cette heure là. On est retournées dans les toilettes. Heureusement, le truc pour donner le papier tenait encore, quoique légèrement pantelant. On l'a retiré en faisant attention et on y a mis ma cassette qui, maintenant que j'y pense, était composée de grunge (mon dieu, c'est gênant), dans le trou. On s'est dit qu'on devrait peut être laisser un message. Alors on a arraché du papier toilette et on a écrit « MERCI », simplement, et on l'a laissé là. On a remis le distributeur à sa place — on avait pris le truc pour le remettre correctement — et on est parties, en rigolant à propos de tout ça. Plus tard, ce jour-là, on est allées trainer avec le groupe mais on ne leur a rien dit, parce que c'est plus marrant si ça reste notre secret.


Le lendemain, E et moi réfléchissions si on devait retourner au Miranda et regarder si il y avait une nouvelle cassette. Je voulais plutôt oublier toute cette histoire, parce que je pensais sincèrement que personne ne regarderait dans ce trou pour quelque chose qui avait été laissé là il y a des années et que la personne qui avait fait ça avait oublié tout ça. E. ne me croyait pas pourtant. Elle était persuadée que la personne qui avait laissé la cassette ici revenait vérifier souvent si quelqu'un l'avait trouvée. J'ai réussi à la convaincre qu'on ne devrait y retourner que le week-end d'après. Parce que même si sa théorie était vraie, je doutais que son hypothétique partenaire musical regardait dans les toilettes tous les jours. Mais encore une fois, qu'en sais-je ? Peut-être que c'était un pervers qui cherchait à rentrer en contact avec des lycéennes.

N'ayez pas peur. [Réécriture]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant