Déplumé.

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  Je rentre du travail, encore une journée affreuse. Mes collègues se moquent de moi, et je ne peux rien leur dire. Je suis obèse, et ils ne cessent jamais de me le faire remarquer.

Les docteurs me disent que je suis devenu gros à cause de la mort de ma mère. Je sais que c'est faux. Je suis juste un gros tas, je ne pense qu'à manger. Je ne peux pas m'en empêcher.

Je n'ai aucune volonté, aucune ambition. Je subis, et j'attends que ça passe, tout seul.
Je suis pitoyable. Toutes les nuits je rêve que je vole, que je suis léger comme l'air, mais je me réveille à chaque fois, et je vois que mes plumes ne sont que de la graisse, informe, répugnante.

J'ouvre la porte de mon immeuble. C'est vrai qu'il est tard, personne n'est réveillé.
J'appuie sur le bouton de l'ascenseur.

Le bouton ne s'allume pas ?
Oh non...

Je me dirige vers les escaliers. Je n'ai qu'un étage à monter, et pourtant je devrai me traîner par terre, comme un porc.
Je... suis un porc.

Essayant de cacher mes larmes, je commence à monter les escaliers, doucement, prudemment. Je suis essoufflé.

J'arrive finalement à mon appartement. Tout est calme. Personne pour rire de moi. Juste le silence.

Je m'installe sur mon canapé. Il est dégueulasse. Tout mon appartement est dégueulasse !

Tiens, la lumière du couloir vient de s'éteindre ? Mais pourquoi ?
Je me relève péniblement pour aller voir.

Qu'est-ce que c'est que ça ? Un homme s'avance vers moi, dans le couloir.
Il porte un masque de hibou, et il est nu. Il est squelettique.

Je tente de lui parler, de lui demander ce qu'il fait là, mais je n'arrive pas à dire un mot. Le silence est pesant, et je vois cet homme avancer vers moi sans rien pouvoir faire.
J'ai peur.

L'homme tend les bras, m'attrape. Il a une force colossale.
Je tente de me débattre, rien n'y fait, il s'avance doucement vers le balcon., ouvre la porte-fenêtre.
Il me soulève par-dessus le rebord...
Et me jette dans le vide.

J'ai envie de crier, je ne peux rien faire. L'homme se penche pour me regarder tomber.
J'ai une douleur atroce dans le ventre.

Une plume ? Une plume vient de sortir d'entre mes bourrelets.
Puis une autre.
Je suis encore en train de tomber, je ne vois pas le sol. Tout est noir autour de moi.
Il y a de plus en plus de plumes, et leur sortie me fait extrêmement mal.
Elles me brûlent.
Je pleure dans ma chute, je ne supporte plus la douleur ! Mes larmes tombent, et disparaissent dans l'obscurité.
Je veux que tout ça s'arrête.

Le sol. Je le vois. Il est près, se rapproche vite.
J'y arrive enfin, et ne ressens plus rien. Ma chute a été amortie par quelque chose.
Il n'y a plus de plumes, plus de douleur.

Ils forment un cercle autour de moi. Des hommes avec des masques de hibou.
Ils m'attendaient.

Je veux bouger, m'enfuir, mais je ne peux rien faire, je suis immobilisé.
Ils se ruent sur moi, me déchirent la peau.

J'arrive enfin à crier, mais personne ne m'entend.
Je vois un liquide jaunâtre se mêler à mon sang, sur le sol. Ces hommes le lèchent, s'en délectent.
Je me vomis dessus, je veux que tout ça ne soit qu'un cauchemar, je veux me réveiller !

Et puis les hommes partent.
Je suis seul, allongé sur ce sol froid.
Mes tripes sont apparentes, et je baigne dans une mare répugnante de graisse et de sang.

Mais je n'ai plus de graisse.

Je suis... Enfin normal.

J'ai mal.


Le Livre aspire les pensées de cet homme, comme à son habitude.
Je suis incapable de dire si le Livre le maintient en vie,
ou s'il s'accroche encore à la vie un dernier instant.
Il n'entend plus les moqueries du monde extérieur.
Juste les échos de ses cris.
Il est dans notre monde, maintenant.

#Laura :)




N'ayez pas peur. [Réécriture]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant