Les êtres aimés.

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  Sujet : Les Êtres Aimés
CulturistSauron
MP
Citer Alerte
06 décembre 2015 à 23:59:49

Salut les poulets ! Je poste ce message pour vous faire part d'un truc que j'ai trouvé il y a quelques jours. Ma famille a un manoir assez ancien, et depuis quelques temps on a essayé de le vendre. Du coup, on est allés récupérer quelques affaires de famille, pas mal de breloques sans intérêt, mais j'ai trouvé un journal qui a l'air assez vieux.

La majeure partie est vide, et y'a qu'une dizaine de pages remplies. Il appartenait apparemment à un ancêtre lointain, et, curieux comme je suis, j'ai voulu en apprendre un peu plus sur lui. J'ai juste trouvé des trucs assez étranges, mais bon, le mec n'avait pas l'air d'avoir toute sa tête vu l'opium qu'il se farcissait.

J'ai quand même envie d'avoir votre avis, je vous recopie donc les moments intéressants (les passages chiants - genre toute la journée du 4 janvier - ça vire, allez hop !).


1 Janvier 1869 :

Je commence cette nouvelle année comme j'ai terminé la précédente : seul. Le docteur Hanstrom m'a conseillé d'écrire un journal pour y consigner mes doutes, mes peurs, mes sentiments. Pourquoi pas, après tout ? Je n'arrive plus à rien écrire depuis des mois, depuis l'incident... Peut-être devrais-je commencer par le commencement.

Je me nomme Elias Darcy, écrivain de mon état. J'ai à mon actif quelques romans à succès qui ont parcouru les clubs de lecture de Paris pendant un temps. Et comme tout succès, viennent les excès. J'ai passé plus de temps l'esprit embrumé par les vapeurs d'opium qu'une plume à la main. Pourtant, j'avais une famille, que j'aimais plus que tout. Amanda et Charles étaient les plus beaux cadeaux que la vie m'ait apportés, mais je ne le voyais pas. Et un beau jour... Le Tout Puissant a repris mon bonheur. Suis-je lâche de rejeter la faute sur Dieu quand j'ai forgé mon propre malheur avec mes vices ?

Charles est mort. Je l'ai écrit. Hanstrom m'a dit que c'était le premier pas vers l'acceptation. Le voir noir sur blanc laisse mes larmes couler sur mes joues. Peu de temps après, Amanda est retournée vivre chez ses parents. M'étais-je trop réfugié dans ces plaisirs à double tranchant dans lesquels je me confortais ?

Je sais que c'est mal... Mais j'en ai besoin. En une bouffée, j'oublierai tout pour quelques heures.

2 Janvier 1869 :

Cette nuit, je me suis réveillé en sursaut. L'opium avait fait ses effets très tôt dans la soirée, et j'ai passé une nuit affreuse. Je l'ai vu. Charles était devant mon lit, il sanglotait, voulant que je le réconforte. Je ne supporte plus ces cauchemars... Mais il semblait si réel. J'ai voulu le prendre dans mes bras, et il s'est enfui en courant. Je l'ai alors suivi dans la maison, mais quelque chose y avait changé. Les visages des tableaux pleuraient du sang et tous me regardaient d'un air accusateur.

Une fois au sous-sol, à bout de souffle, il est passé par une porte que je n'avais jamais vue auparavant, menant à une multitude de couloirs sombres et froids, comme la mort. Au bout de son parcours, je l'ai aperçu rejoindre une femme. Amanda. Ils m'ont regardé, du sang coulant de leurs yeux, de leurs oreilles, de leurs nez. Cette vision d'horreur m'a glacé le sang. Je me souviendrai toujours de la voix qui s'est élevée de leur bouche cadavérique : "Pourquoi nous as-tu abandonnés ?"


Je commence à devenir fou, j'entends leur voix partout, je sens leur regard sur moi, constamment. À mon réveil, je suis descendu au sous-sol. Évidemment, je n'y ai trouvé qu'un mur massif. Ce n'était qu'un cauchemar, après tout. J'ai quand même pu remarquer un étrange petit symbole en plein milieu des briques. Un œil à l'intérieur d'une étoile. Sûrement un des domestiques qui s'était amusé.

Je vais devoir me préparer, mon ami Leone vient me rendre visite. Je ne sors plus vraiment de chez moi, à part pour lui rendre visite, ou pour parler au docteur Hanstrom. Comment le monde extérieur pourrait-il comprendre ce que je vis ?


Quelque chose d'étrange s'est passé avec Leone. Il m'a demandé si j'avais modifié les tableaux de mon bureau. Je lui ai répondu que j'avais autre chose à faire que de penser peinture, mais il m'a fait remarquer le changement dans le regard de notre famille. Sur cette grande toile était représentés Charles, Amanda et moi. Autrefois joyeuses, nos expressions semblaient tristes, et on pouvait déceler quelques larmes dans nos yeux, tandis que notre fils fermait les yeux.

J'ai fait comme si de rien n'était, mais un frisson glacé m'a parcouru l'échine. Leone a dévié la conversation devant mon malaise en m'invitant à une soirée mondaine organisée par un de ses clients, Saalim Rahman, riche homme d'affaire venu d'Égypte. Malgré mes réticences, il est parvenu à me convaincre, en disant que cet homme désirait me rencontrer, étant amateur de mes ouvrages. J'avais, de toute façon, besoin de sortir au plus vite de cette maison de malheur. Je noterai demain un compte-rendu de la soirée. Hanstrom appréciera que je sorte de chez moi, pour une fois.

3 Janvier 1969 :

Quelle soirée éprouvante. Je viens tout juste de me réveiller et me voilà à en noter ces événements, pour ne rien oublier. Peut-être pour me prouver que tout cela s'est vraiment passé.

À peine arrivé dans l'immense "maison secondaire" de monsieur Rahman, Leone et moi étions ébahis devant le luxe dont il s'entourait. Un majordome est venu nous accueillir, et nous avons retrouvé l'égyptien dans son salon, entouré du gratin parisien, riant à ses traits d'humour.

Il avait une apparence soignée, de longs cheveux d'un noir de jais plaqués en arrière, de nombreux bijoux et apparats. Malgré son air amical, à l'instant où nous sommes entrés dans la pièce, j'ai senti son regard se fixer sur moi. D'un geste de la main, la foule amassée autour de lui s'est dissipée, et il s'est approché de nous, nous serrant la main longuement. Il m'a parlé de banalités à propos de mes ouvrages, des questions auxquelles j'avais l'habitude de répondre, puis il a demandé à Leone de nous apporter quelques rafraîchissements.

Et à cet instant, l'atmosphère a changé. En tête à tête, j'ai pu remarquer son sourire presque malsain, son regard beaucoup trop aimable pour être honnête. Paranoïa ? Soupçons fondés ? Je n'en sais rien. Il a passé son bras autour de mon cou et m'a parlé des êtres aimés. Ceux que l'on perd, ceux qui nous fuient. Pourquoi aborder ce sujet, et comment savait-il qu'il m'était si cher ? Aurait-il eu un rapport avec le départ de ma femme ? Ou pire, la mort de mon fils ? Et le plus étrange était le médaillon qu'il portait. Un œil à l'intérieur d'une étoile.

En rentrant, j'ai fait le même rêve. J'ai revu Charles, et ma femme. Enfin, puis-je encore l'appeler ainsi ? J'ai pu avancer plus loin dans le labyrinthe, porté par leurs appels à l'aide, mais jamais je ne les rattrapais. Jusqu'à ce que je rencontre un homme d'apparence, vêtu d'ombres, un sourire carnassier luisant dans les ténèbres, sans visage. À son cou pendant un médaillon dont le symbole m'était dorénavant connu. Paralysé par la peur, je ne pouvais pas fuir devant lui et me réveillais en sursaut alors qu'il approchait ses innombrables rangées de dents de moi.

Tout ceci ne devait être qu'une coïncidence, un bête incident de ma vie sur mes rêves... Mais pourquoi avaient-ils l'air si réels ? Et son rire me glace encore le sang, même éveillé.

4 Janvier 1869 :

Je me force à rester éveillé dans l'espoir d'échapper à ce rêve effrayant. Je ne peux supporter la vision d'un Charles ensanglanté. Et cette créature, qu'était-elle ? Je me suis précipité à la demeure de Rahman pour en apprendre plus sur ce symbole étrange qui me hantait jusque dans mes cauchemars. Il m'a accueilli avec grand plaisir, mais ne cessait d'esquiver mes questions, préférant me parler de mon prochain ouvrage. Comme si écrire un stupide livre m'intéressait en des temps aussi troubles !

Alors que son majordome, dont le regard sans vie me mettait mal à l'aise, me raccompagnait à la porte, Rahman m'a annoncé qu'il n'était là que pour apporter sa pierre à l'édifice. Et me voilà, essayant de comprendre ses phrases énigmatiques, luttant contre le sommeil. Le rire de cet homme me réveille à chaque fois que ma conscience s'effondre quelques instants. Puis-je réellement appeler cette abomination un homme ?

5 Janvier 1869 :

Je perds pied. Je devrais arrêter les narcotiques ingérés, mais j'ai l'impression que ce sont les seules choses qui me font tenir debout. Les deux amours de ma vie sont partis, et je ne distingue plus réalité et délires. J'ai entendu des bruits de pas dans la salle de jeu de Charles, mais elle était vide. Son petit cheval tanguait comme si quelqu'un venait de s'y poser. Mais j'étais seul. Alors, j'ai regardé par la fenêtre, et je l'ai vu.

Rahman. L'égyptien se tenait devant chez moi, caressant son médaillon, me souriant de toutes ses dents. Il venait me narguer, observer son "édifice". Je me suis précipité dehors, mais il n'y avait plus personne. La folie s'est emparée de moi, et j'ai pensé à la phrase de Rahman. Une pierre ? Serait-ce un indice dans son jeu dément, visant à briser mon esprit ? Je devais savoir coûte que coûte ce qui se cachait derrière ce symbole, derrière cette porte.

J'ai couru vers mon sous-sol, ai attrapé la première chose sous la main et ai commencé à attaquer les briques. Je suis loin d'avoir terminé, mais c'est ma seule solution. Et à chaque fois que je frappe ce mur, j'entends ce rire inhumain de nouveau. Quelque chose m'épie, mais quoi ? Je vais me coucher, et peut-être que demain, tout ira mieux. Ah, si seulement.


J'ai froid. Papa essaye de casser le mur. Il s'arrête parfois pour pleurer. Je lui dis que ça va aller, mais il ne m'entend pas. Le monsieur me dit qu'il arrêtera bientôt de s'amuser avec mon papa, une fois qu'il aura eu son repas. J'ai hâte que ça soit mon tour !


6 Janvier 1869 :

Mes mains tremblent alors que je lis la page précédente. Je n'ai aucun souvenir d'avoir écrit cela. Mais mon fils ne peut pas être toujours là ! Il est mort ! Je l'ai enterré ! Mon esprit me jouerait-il un sombre tour ? Je suis bon pour l'asile. Mais pas avant d'avoir percé ce fichu secret ! Qui est ce monsieur ? Un repas ? Je n'y comprends rien, bon sang !

Charles, si tu lis ce journal... Tu me manques.

J'ai repris quelque peu mes esprits après ma séance quotidienne d'opium. Leone est venu, et je lui ai tout raconté, je lui ai montré le mur, le symbole. Il m'a d'abord pris pour un fou, évidemment, qui ne le ferait pas ? J'ai réussi à le convaincre de m'aider, et il m'a dit connaître un professeur en sciences occultes. Peut-être avait-il déjà vu ce symbole quelque part. La moindre piste m'aidera.

Il m'a fait promettre de ne pas détruire d'avantage ma maison avant d'en savoir plus. Mais le temps presse, et le rire se fait de plus en plus présent à chaque fois que je ferme les yeux. Le "monsieur" se rapproche.


Maman est partie vivre ailleurs. Elle m'a abandonné. Seul mon papa est resté, parce qu'il m'aime.

7 Janvier 1869 :

Oui mon fils, je t'aime. Ta mère n'est qu'une sotte pour avoir quitté sa famille.

Leone est revenu me voir, tôt dans la matinée, avec des nouvelles. Apparemment, ce symbole représenterait Rahj'Mah, un être mystérieux, tout puissant, qui se nourrirait des vices des hommes, de leur désespoir, dans une croyance très ancienne. Il vivrait aux côtés des esprits pour les utiliser sur les mortels. Mais les esprits, ça n'a jamais existé, pas plus que les dieux ou quoi que ce soit ! Ce Rahman doit me jouer un tour, je ne sais pas comment il fait, mais il veut me pousser à la folie ! Il se joue de moi ! Je vais briser ce mur.

Que se passe-t-il... Je l'avais enterré moi-même. Et pourtant, derrière le mur... J'ai du mal à écrire, mes mains tremblent encore. Une puanteur infecte s'en dégageait, et j'y ai trouvé un corps. Petit, habillé des vêtements préférés de Charles. Son petit nez retroussé n'était pas encore trop abîmé par la putréfaction, et il gardait son beau sourire. Je l'ai pris dans mes bras, et j'ai pleuré toutes les larmes de mon corps. Je l'ai allongé dans son lit et j'écris ces quelques lignes.

Il ne me reste plus qu'une chose à faire, je sais que ce n'est pas bon pour mon corps et mon cerveau, mais mes joues sont déjà creusées et mon esprit est en morceaux. J'en ai besoin. Juste quelques bouffées, et tout redeviendra normal...


Mon papa est enfin venu me chercher après m'avoir caché dans le sous-sol. Il faisait froid, mais je sais qu'il m'aime et qu'il voulait simplement me garder près de lui. Maman a toujours tout fait pour nous séparer, mais au moins nous serons ensemble grâce à lui. Il est allongé dans sa banquette. Il tient sa pipe fétiche qui lui fait faire des rêves rigolos. Le monsieur avec un médaillon est entré dans son bureau et s'est penché vers lui avec sa grande bouche pleine de dents. Il m'a dit qu'il avait fini son repas, et que mon papa pourra jouer avec moi pour toujours, maintenant."




Voilà. Je ne sais pas trop quoi en penser. Comme je l'ai dit plus haut, Elias est connu dans ma famille pour avoir perdu la raison à la mort de son fils, dans des circonstances assez mystérieuses. Je me demande quand même si un homme aussi fou aurait pu monter ce récit de toutes pièces. Il semblait clairement ressentir un malaise dans sa maison, et je dois avouer que les quelques fois où nous sommes venus récupérer des affaires de famille, j'ai eu l'impression qu'une ambiance malsaine y régnait.

J'ai fait quelques recherches, impossible de trouver quoi que ce soit sur ce "Rahj'Mah", ou même Saalim Rahman. Je veux dire, s'il était un businessman important, il devrait bien en rester quelques traces, non ? Pareil, rien n'indique comment le fils d'Elias est mort, ni même où il a été enterré, et quand j'ai demandé à mes parents, ils se sont contentés de se taire, et de me dire de ne plus m'intéresser à ce sujet.

Bref, si quelqu'un a entendu parler de ça, on pourrait en discuter. Cette histoire commence à me prendre de plus en plus la tête, et j'aimerais bien y mettre un terme. Évidemment, le mur du sous-sol a été reconstruit. L'agent immobilier doit passer dans la journée, je lui demanderai s'il en sait plus sur l'histoire de cette demeure, mes parents n'ayant rien voulu me dire. J'éditerai mon post si j'apprends quelque chose d'intéressant.


Edit : J'ai discuté avec l'agent, un certain monsieur King, un anglais sûrement. Il avait un air très amical et a répondu à mes questions avec plaisir. Il m'a invité à boire un coup pendant que nous discutions, j'ai d'abord hésité parce que ça faisait quelques temps que j'avais arrêté, mais bon, il semblait sympathique, et un petit verre de temps en temps ne peut pas faire de mal !

Malheureusement, il n'a pas pu m'apprendre grand chose à part les banalités habituelles. Il m'a juste assuré que c'était un lieu convivial pour garder les êtres que l'on aime près de soi. Par contre, alors qu'on se quittait, j'ai pu observer un truc assez étrange : il a regardé l'heure sur une sorte de montre à gousset que j'ai entraperçue, sur laquelle était gravé un œil au milieu d'une étoile.

#Laura :)

N'ayez pas peur. [Réécriture]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant