Mon Frère. (6/11)

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Extrait du Cahier #2 : « L'échange de cassettes du Miranda »


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Un matin, E. et moi avons décidé qu'on allait sécher les cours. La plupart du temps on ne faisait pas de choses comme ça. E. était plutôt sérieuse en cours, ce qui contrastait avec sa manière apathique de se comporter avec le monde. On a passé la plupart de la matinée chez moi (mes parents étaient partis à leur 2ème lune de miel à l'époque, alors ce devait être en 1997), on regardait des stupides téléachats et des rediffusions de jeux télé, et on parlait de tout et de rien. Je ne trainais pas vraiment avec E., elle était plus amie avec D., je crois. Mais je voulais lui poser des questions sur ses parents. Au final je ne l'ai pas fait. Je me suis sentie un peu gênée.

Il était déjà midi à peu près quand on a décidé de quitter la maison et de trouver un endroit où manger, E. s'est changée chez moi (elle n'allait pas garder son uniforme), je lui ai donné quelques vêtements qui n'étaient pas tout à fait son style, comme tu peux l'imaginer, mais ça lui allait. On est allées au petit chinois rue ____, celui derrière le Miranda [Note : Miranda est une chaine de supermarché connue ici]. La bouffe craignait, et après E. a dû aller aux toilettes alors on est allées dans le Miranda et je l'ai attendue dehors, en regardant quelques magazines.

Je l'attendais devant la porte des toilettes des filles (je suis pas le genre de fille qui fait genre « hey on va aux toilettes ensemble ? ») et j'ai soudain entendu un son comme si elle essayait d'arracher quelque chose du mur. Je me suis demandé ce qu'elle pouvait bien foutre mais je suis restée silencieuse, parce que E. n'était pas trop du genre à parler. Et soudain elle est arrivée, pratiquement en hyper ventilation et elle parvenait à peine à s'exprimer. Elle a dit quelque chose du style « oh mon dieu, tu ne croiras jamais ce que j'ai trouvé là-bas. Viens, viens maintenant et regarde toi-même ». On aurait dit, en voyant son regard, qu'elle avait vu le Père Noël dans les toilettes, alors j'y suis allée.


La première chose que j'ai remarquée, c'est ce truc en plastique sur le sol. C'était ces gros rouleaux de papier tu sais, ils les mettent dans ces distributeurs en plastique et tu tournes un levier pour sécher tes mains avec, vous voyez de quoi je parle non ? Il pendait sur le mur du fond des toilettes. Bref, là où il était supposé être fixé il y avait un trou. Apparemment E. avait entendu un genre de grattement ou de mouvement derrière le mur, et elle avait décidé, dans un moment de faible jugement, de l'arracher du mur. Derrière il y avait un trou dans le mur par lequel on pouvait voir l'isolation et d'autres trucs. J'ai pensé qu'on l'avait fait accidentellement ou simplement trouvé là et qu'on avait décidé de le recouvrir comme on pouvait. Il y avait autre chose là-dedans, bien sûr. C'était une cassette étiquetée « ÉCHANGE ».

À l'époque tout le monde utilisait encore des cassettes pour tout et n'importe quoi, ce qui était pratique pour nous parce que, comme nous avons pu le découvrir, c'était un support solide. Plus maintenant bien sûr. Maintenant on en est réduits aux vinyles et à l'écriture à la main. Pathétique.

Bref c'était une cassette comme les autres qu'on pouvait acheter partout, avec une étiquette sur laquelle était marqué « ÉCHANGE », écrite simplement au marqueur. E. se demandait ce que c'était. Qui l'avait laissée là ? Je ne savais vraiment pas quoi lui dire. Inutile de dire que c'était très bizarre. Je crois qu'une fille est rentrée dans les toilettes, nous a vues regarder par le trou dans le mur, a tourné les talons et s'est dirigée droit dehors. On a eu de la chance que personne du magasin ne nous ait vues défoncer leurs toilettes.

On ne pouvait pas écouter la cassette ici, comme on avait pas de baladeur. J'étais hésitante sur le fait qu'il faille la prendre ou pas. C'était pas ma première expérience de « merde bizarre », et même si c'était pas particulièrement bizarre, j'avais le sentiment que ça pourrait le devenir très rapidement. Mais E. était déterminée à la prendre et à savoir ce qu'il y avait dedans. La cassette n'avait aucune écriture à part l'étiquette. Alors on l'a prise, en essayant de remettre le distributeur de papier sur le mur, réussissant à moitié (ça tenait sans réel équilibre), et on est retournées chez moi.

N'ayez pas peur. [Réécriture]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant