Nature Morte.

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    Bon, par où commencer. Tout d'abord, il y a certains détails que je vais devoir expliquer d'emblée : Je ne suis pas censé vous parler de ce que j'ai vu. Par conséquent je ne mentionnerai ni mon nom, ni celui de la société qui m'employait. Bien qu'elle n'existe plus et qu'il n'y a que très peu de chances qu'un de mes anciens patrons tombe là-dessus, je préfère pas prendre de risques.

J'ai encore du mal avec cette histoire, à me dire que ça s'est réellement passé. J'ai vécu avec ça, sans jamais en parler à personne, et ce depuis presque 5 ans. Ce n'est que récemment que j'ai décidé d'en parler à ma femme, et c'est elle qui m'a convaincu de raconter mon histoire.

En 2011, je travaillais pour une compagnie de déboisement qui était en partenariat avec une entreprise de construction sur certains chantiers. On coupait les arbres, on ratissait la zone, et les gars du bâtiment passaient derrière pour construire. Mais les chantiers se faisaient de plus en plus rares. Les forêts étant protégées, et les permis de construction plus difficiles à obtenir, les deux entreprises ont décidé de se tourner vers l'étranger. Et ils ont trouvé un appel d'offre venant de Croatie.

J'étais pas vraiment emballé à l'idée de partir là bas. On partait que pour six mois, mais je savais très bien que les deux entreprises avaient décidé à long terme de s'installer là bas. La Croatie espérait entrer prochainement dans l'Union Européenne, elle accueillait donc à bras ouverts tous les investisseurs étrangers pour prouver sa bonne volonté. J'ai donc décidé de partir là bas, avec peut être l'intention d'y rester.

La zone à déboiser se trouvait en pleine campagne, près du petit village de Strazbenica si je me souviens bien. A environ 100 kilomètres au sud de Zagreb. Des collines, des forêts immenses, et des champs. En fait, ça ressemblait un peu aux paysages du centre de la France. On était logés dans des préfabriqués posés à la sortie du village. Les habitants ne nous regardaient pas d'un très bon œil. En fait, je pense même qu'ils pouvaient pas nous blairer. Beaucoup de Croates n'étaient pas favorables à l'entrée de leur pays dans l'UE. On venait en quelque sorte manger dans leur gamelle.

On s'est vite mis au boulot, le chantier était immense. On a été prévenus par la police locale qu'on risquait de tomber sur des activistes écolos plutôt virulents, qui squattaient la forêt depuis quelques années. La municipalité avait tenté plusieurs fois de les virer, mais ils étaient toujours revenus. Personnellement, j'étais pas trop à l'aise de savoir qu'un hippie pouvait à tout moment sortir d'un buisson pour me caillasser. Mais on a été plutôt tranquille les trois premières semaines. Et puis j'ai commencé à remarquer des choses.

Des arbres marqués avec de la peinture d'abord, puis au fur et à mesure qu'on avançait dans la forêt, des cercles de pierres, des traces de feu. Et puis on est tombé sur eux. Ou plutôt ils sont tombés sur nous. C'était un matin, il pleuvait. J'allais entamer un arbre avec mon collègue, quand on a entendu des pas et des branches craquer derrière nous. Quand je me suis retourné, j'ai vu quatre hommes s'avancer tranquillement vers moi. Aucune agressivité. En fait, je m'attendais à voir des crasseux en treillis et dread locks, mais ils étaient tout à fait banals.

Un des hommes s'est approché de moi, a passé son bras autour de mon épaule et a commencé à parler, à voix basse. Je n'ai pas compris une seule de ses paroles, je ne parle pas croate. Et j'ai réalisé que peu à peu, les trois autres hommes avaient commencé à m'encercler. Mon collègue m'a tiré par le bras et on est parti. Sans courir, mais sans non plus leur tourner le dos. Les quatre hommes se sont regardés et se sont effondré de rire. J'y ai pensé toute la nuit.

A partir de ce jour on a commencé à travailler par groupe de huit. On était jamais tranquille, toujours l'impression d'être observé. Mais on a pu continuer sans trop de problèmes les deux mois qui ont suivi. Et puis les " hippies " comme on s'amusait à les appeler, se sont montrés de plus en plus présents. Ils ne se cachaient plus, ils restaient la plupart du temps assis à nous regarder travailler. Un collègue à dit un jour qu'ils " mémorisaient nos visages ". J'aurais rit en temps normal, mais cette idée m'a fait frissonner.

N'ayez pas peur. [Réécriture]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant