Je les aperçois tous les trois au fond de la salle : ils sont en grande discussion avec Robert Karl Ludwig Mulka, l'un des adjudants du commandant Höß, ils ont tous un grand sourire et un verre à la main. De la vodka sans doute.

Je sais déjà comment cette petite réception va se terminer : une bonne moitié des invités sera totalement ivre dans quelques heures et je ne pourrais pas dormir correctement cette nuit.

Derrière eux, placardé au mur, il y a une grande carte de l'Europe : l'un des officiers, à l'ouverture du camp, avait voulu démontrer la puissante du Reich en apposant sur ce plan une multitude de petits drapeaux qui symbolisaient les possessions de l'Allemagne.

Mon retour en Pologne m'a un bon moment fait oublié les tensions qui régnaient en Europe et les envies de conquêtes du Führer.

Ce matin, j'ai réussi à trouver quelques journaux de presse allemands : j'ai découvert avec stupeur que la situation avait bien changé en un an. Les Russes ont attaqué la Finlande l'hiver dernier puis les troupes allemandes ont envahi le Danemark et la Norvège en avril.

Tandis que je me trouvais à Łódź pour y surveiller le ghetto, Hitler avait finalement lancé son offensive sur l'Ouest et avait réussi le tour de force de soumettre les Pays-Bas, la Belgique, le Luxembourg et une partie de la France sous son autorité. Comme pour la campagne de Pologne, tout s'était déroulé très vite : un peu plus d'un mois après l'invasion de ces pays, les troupes allemandes étaient entrées dans Paris puis, le 22 juin dernier, l'armistice avait été signé entre la France et le Reich.

Les journaux ne tarissaient pas d'éloges sur la rapidité avec laquelle Hitler avait annexé tous ces territoires mais en revanche, ils s'étendaient moins sur le conflit qui continuait en Afrique et qui opposait les forces italiennes, alliées de l'Allemagne, aux troupes britanniques et françaises.

Si j'avais compris depuis bien longtemps les désirs de conquête du Führer, jamais je n'aurais cru qu'en moins d'un an il parvienne à concrétiser une aussi grande partie de ses ambitions.

L'un des journaux, qui datait de mi-juillet montrait de nombreuses photos du retour triomphal d'Hitler à Berlin : la foule était enthousiaste et agitait de nombreux petits drapeaux aux couleurs du Reich, les sourires n'étaient pas feints, les femmes et les enfants semblaient déborder d'admiration pour celui que je considérais toujours comme un fou furieux.

En poursuivant ma lecture j'avais appris que les deux principaux problèmes restants étaient les cas du Royaume-Uni et de l'URSS.

Même si les articles se voulaient extrêmement prudents, une fois encore, j'avais très vite réalisé que le pacte entre les Russes et l'Allemagne risquait de devenir caduc assez rapidement : Staline était un allié encombrant et dérangeant.

Apparemment, Hitler avait choisi de résoudre en premier lieu le cas anglais et cette bataille est à présent, selon les journaux, entrée dans sa troisième phase : au ton employé dans les articles, j'ai compris qu'elle était très loin d'être gagnée.

Dans un premier temps, l'aviation allemande s'était consacrée à attaquer les convois de ravitaillement britanniques afin d'isoler le Royaume-Uni et de forcer les appareils de la RAF à s'engager dans le combat.

Après un mois, les journaux constataient amèrement que cela avait été peu efficace.

L'état-major allemand avait donc décidé d'affronter directement la RAF sur son propre sol : les aérodromes militaires britanniques et les usines de l'industrie aéronautique étaient devenus les nouvelles cibles de la Luftwaffe.

Une fois encore, l'optimisme ne semblait pas de mise chez les reporters chargés de couvrir les évènements. Le commandement de l'armée allemande s'était visiblement trompé sur les pertes infligées aux anglais : le 15 août, que les articles décrivaient comme un jeudi noir pour le Reich, l'aviation allemande avait perdu plus de 60 appareils. Plus terrible encore, trois jours plus tard, les pertes furent telles que l'état-major avait décidé de retirer les bombardiers Stuka des combats.

Les sentiers de l'espérance {publié aux éditions Poussière de Lune}Where stories live. Discover now