Chapitre 20

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9 septembre 1940

J'ai vingt ans depuis quelques jours.

J'ai vingt ans mais déjà j'ai l'impression que je n'ai plus aucun avenir.

Ma vie n'est qu'une sombre prison dans laquelle mon cœur meurtri et mon âme blessée sont fatigués de lutter en permanence.

Chaque jour m'apporte son lot de pensées toutes plus obscures les unes que les autres : j'ai finis par comprendre que jamais je n'aurais droit au bonheur car cela fait bien longtemps qu'il a oublié que j'existais. Parfois j'espère que tout ceci n'est qu'un long cauchemar et qu'un jour je finirais par me réveiller entouré d'une vraie famille et d'amis avec qui je pourrais passer du temps.

Ma vie si pâle me fait mal et la solitude est ma seule compagne.
Dans mon corps dévasté, la douleur irradie tel un torrent brûlant qui ne cesse d'affluer dans mes veines.
Je ne peux plus combattre et je n'ai plus envie de résister. De l'aube au crépuscule, tout n'est que haine, peur, dégoût, mépris...

J'ai arrêté d'essayer de comprendre, j'ai arrêté d'espérer voir un jour apparaître la lueur qui ranimera mon cœur. Je suis fatigué de crier ma colère, pourquoi devrais-je continuer de la sorte en sachant que je suis de toute façon condamné à mourir dans ce camp ou sur le champ de bataille ?

Je contemple mon fusil que je tiens dans mes mains depuis au moins dix bonnes minutes.
Ce serait si simple...

L'irruption soudaine de quatre soldats dans la pièce qui me sert de retraite interrompt le cours de mes pensées.

C'est devenu une habitude récurrente chez les plus proches amis de Mark : parfois ils me réveillent en plein nuit simplement pour me demander si je dors et quand ils ont vraiment envie de m'ennuyer ils me demandent d'aller les remplacer pour assurer la garde en haut du mirador.

Je pourrais tenter de me défiler mais ils viennent toujours à trois ou quatre et je sais pertinemment que je ne pourrais pas en venir à bout seul.

- Alors, tu ne viens pas ? Tout le monde est là, tu es le seul à ne pas être descendu !

- Je préfère rester seul.

- On ne t'a pas demandé si tu en avais envie ou pas. Tu viens avec nous. Tu sais parfaitement que Mark t'attend.

Je me lève en soupirant et suit les quatre soldats : l'un d'entre eux se place derrière moi pour être certain que je ne vais pas leur fausser compagnie.

Lorsque nous approchons de la cantine des SS, je suis surpris par les éclats de voix qui parviennent à mes oreilles. Quand nous sommes à quelques mètres à peine, je perçois également les échos de l'Aria de Johann Sebastian Bach, une musique que j'avais entendue à de nombreuses reprises dans la demeure d'Ernst à Berlin.

Je crois qu'une majorité des officiers du camp participe à cette réception et tout à coup, je me rappelle la conversation que j'avais entendue ce matin avant de prendre mes fonctions : Rudolf Höß avait autorisé cette petite fête à l'occasion de l'anniversaire de l'un de ses adjoints et il avait également permis qu'une petite cérémonie soit organisée pour quelques soldats du camp qui allaient recevoir une promotion suite à leur conduite sans faille depuis l'invasion de la Pologne l'année dernière.

Frank, qui appartenait à la noblesse allemande, n'avait pas arrêté de se plaindre en apprenant que Mark allait obtenir le grade de Scharführer, moins de six mois après avoir été désigné Unterscharführer à son arrivée à Oświęcim.

La tension entre eux était palpable depuis quelques jours et j'avais essayé de me tenir à distance raisonnable de mes deux supérieurs. Jürgen, quant à lui, se moquait royalement de ces histoires de promotion et de récompense car tout ce qui l'intéressait c'était de faire souffrir tant et plus les malheureux prisonniers du camp.

Les sentiers de l'espérance {publié aux éditions Poussière de Lune}Où les histoires vivent. Découvrez maintenant