Chapitre 10

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30 mars 1939

Le sort des prisonniers est presque passé au second plan depuis quelques jours car au sein des garnisons SS la même question revient sans cesse : allait-on enfin partir pour le front ?

Car oui, la majorité de mes compagnons n'attendent que cela : la guerre, partir au front et conquérir l'Europe entière pour être considéré comme un héros de la nation à leur retour au pays.

Bien que nous vivons presque en autarcie dans le camp, j'essaie d'écouter de temps en temps les conversations pour me tenir au courant de ce qu'il se passe dans ce que j'appelle désormais le monde extérieur.
Et les nouvelles sont pour le moins...effrayantes. Enfin, pour moi.

Au début du mois, la Slovaquie, soutenue par Hitler bien entendu, est devenue indépendante et depuis lors les troupes allemandes occupent la Bohème, la Moravie et la Tchécoslovaquie.

Ce qui m'inquiète davantage ce sont les revendications de plus en plus pressantes du Führer envers la Pologne : d'après les rumeurs, il réclame depuis le début de l'année la restitution de la ville de Dantzig, une ville établie le long de la Mer Baltique. Le dispositif militaire a d'ailleurs été fortement renforcé par mon pays natal dans cette région tant la Pologne craint une violation de son territoire par l'Allemagne.

D'ailleurs, et il s'agit de la nouvelle la plus commentée dans les quartiers SS, mon pays d'origine avait officiellement averti le Reich que la moindre tentative de modification dans le statut de la ville de Dantzig sans son consentement entrainerait d'office la guerre entre les deux pays.

Je sais pertinemment que c'est ce que cherche Hitler et je suis persuadé que tôt ou tard, il parviendra à ses fins.
D'après les bruits de couloir, la France et l'Angleterre n'ont pas réagi et semblent encore convaincus que le Führer va respecter sa parole donnée lors des accords de Munich : quelle erreur ! Je côtoie des nazis convaincus depuis des années et je sais parfaitement que tout ceci n'est que le début d'une vaste campagne soigneusement préparée.

Pendant ma scolarité à Berlin j'ai étudié l'Histoire et l'attitude d'Hitler me fait penser aux empereurs et rois du passé : il veut pouvoir contrôler l'Europe entière et étendre son influence et son idéologie le plus loin possible. Je suis convaincu que la neutralisation des ennemis de l'Allemagne n'est qu'un leurre ou en tout cas, une manière de détourner l'attention sur ses véritables projets.

Ce matin, avant d'aller assurer mon tour de garde dans le bois, je dois prendre connaissance du rapport hebdomadaire de Georg et le signer pour accord : il tient à noter l'étendue de mes « progrès » pour ensuite transmettre à Ernst et à Karl un récapitulatif du nombre de prisonniers que j'ai moi-même exécuté. Je suis le seul de l'effectif SS du camp à être soumis à ce contrôle hebdomadaire et j'ai presque l'impression d'être un ouvrier dans une usine dont on surveille le rendement : si la production est mauvaise il est sanctionné, si au contraire il atteint les objectifs demandés, il est récompensé.

Ces dernières semaines ont été particulièrement pénibles et éprouvantes pour moi : j'ai un moment tenté de résister, tenté d'éviter de faire le sale boulot mais comme un lâche, j'ai fini par renoncer à cette lutte inutile en raison des multiples punitions et privations de repas qui n'ont cessé de s'accumuler.
A l'arrière des quartiers des SS et à l'abri des regards, se trouve une sorte de petit renfoncement presque totalement invisible : j'ai été contraint moi-même d'expérimenter le pieu, une punition normalement infligée aux détenus.

Il s'agit d'un poteau de bois d'environ 3 mètres de haut où pendent des chaînes fixées à son sommet. Un soldat m'avait lié les mains derrière le dos et m'avait accroché à ces chaînes puis hissé comme un vulgaire paquet pour ensuite m'assener une bonne trentaine de coups de bâton.

Les sentiers de l'espérance {publié aux éditions Poussière de Lune}Où les histoires vivent. Découvrez maintenant