Chapitre 9

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16 février 1939

Au lieu des 7 jours annoncés par le médecin, je suis resté à l'infirmerie 15 jours de plus : j'ai reçu aujourd'hui la permission de regagner mon poste de travail et j'avoue que je regrette le confort de ma chambre aseptisée. Mais je n'ai plus rien à y faire puisque je suis guéri.

Dans les couloirs, je surprends une conversation entre deux infirmiers : les frictions entre Hermann Baranovski et les autres responsables du camp deviennent plus nombreuses chaque jour.
Je m'appuie contre un mur qui me cache à la vue des soldats car je ne veux pas participer à la discussion mais si je veux sortir je dois impérativement passer devant eux : je suis donc contraint d'attendre la fin de leur échange.

J'apprends ainsi que Baranovski, Standartenführer dans une division près de Hambourg, avait été nommé à la tête du camp de Lichtenburg en raison d'un conflit personnel. Là encore, l'entente n'avait pas été au beau fixe entre le commandant et les autres dirigeants : c'est ainsi qu'il s'était retrouvé à Dachau puis ici à Sachsenhausen.

Tout en patientant, je réfléchis rapidement : ces informations peuvent peut-être aider les quelques prisonniers qui envisageaient de s'évader du camp. Je ne sais pas vraiment comment mais autant que je les communique au détenu que j'avais mené en cellule avant d'être transporté à l'infirmerie.

Enfin, le couloir se libère et je marche d'un pas rapide vers la sortie du bâtiment. Je dois passer dans les quartiers administratifs pour signer un document attestant mon retour sur le terrain mais je décide de faire un détour par la prison.

En y pénétrant, j'explique à l'un des gardiens que je sors de l'infirmerie et que je voulais voir un détenu que j'avais moi-même enfermé et qui avait été condamné à 42 jours d'arrêt. Lorsque je désigne la cellule de loin le soldat à qui je me suis adressé secoue la tête :

- Il a été fusillé il y a deux jours.

Je le regarde stupéfait et je mets un temps à assimiler ce que je viens d'entendre. D'un pas lent je quitte les cachots et, après un rapide passage dans les quartiers SS, je regagne mon poste de travail terriblement accablé.

Lorsque Georg me tend mon fusil, il se penche vers moi et d'un ton menaçant me dit que si je laisse encore un seul prisonnier un peu trop libre de ses mouvements, il se fera un plaisir de déverser le contenu de son chargeur sur moi. Il précise également qu'il a demandé aux autres SS de ne pas tirer si l'un des hommes que nous devons surveiller tente de s'échapper car Georg attend toujours que je fasse « mes preuves ».

Sans dire un mot je prends mon arme en tremblant et je me positionne lentement au coin du terrain que doivent défricher la cinquantaine d'hommes que j'ai face à moi.

Je me sens vraiment mal en les dévisageant : il fait de plus en plus froid dehors, ils n'ont toujours que leur vieil uniforme râpé sur le dos et sont toujours soumis aux mêmes cadences infernales.

J'en vois certains hésiter longtemps au moment de soulever leur lourde bêche remplie de terre et je tressaille : je sais parfaitement que si l'un de ces pauvres malheureux décident de déposer son outil de travail, Georg exigera que je l'abatte sans cérémonie.

Mon attention se porte sur l'un des prisonniers qui semble plus jeune et plus frêle que ses compagnons : il grelotte et ne cesse de tousser. Je suis presque certain qu'il est malade.

Je remarque que les autres SS le fixent également avec insistance tandis que Georg se concentre exclusivement sur moi.

Je vois le jeune homme laisser finalement tomber son outil et s'assoir par terre sous le regard terrifié de tout le kommando : certains tentent de le remettre sur pied mais en vain, leur compagnon est exténué. Personne ne dit mot mais tous savent qu'il vient de signer son arrêt de mort et je comprends en voyant Georg se diriger lentement vers moi, la main posée nonchalamment sur son revolver, que je vais devoir choisir entre sa vie et la mienne.

Les sentiers de l'espérance {publié aux éditions Poussière de Lune}Où les histoires vivent. Découvrez maintenant